Au Vietnam, il n’y a eu que 16 cas au début de l’épidémie en Chine en janvier 2020, puis trois semaines sans cas déclaré, jusqu’à ce que la deuxième vague d’épidémie frappe le pays en arrivant d’Europe. Au 22 mars, nous sommes à 98 cas, en comptant les 17 guéris. La Chine est le premier partenaire commercial du Vietnam et partage des milliers de kilomètres de frontières terrestres, il est vrai étroitement gardées. Les écoles allaient ouvrir à nouveau, jusqu’à ce qu’un cas se déclare à Hanoï : une personne de retour de Milan, le cas numéro 17. Cette personne a été livrée à la vindicte publique typique des réseaux sociaux, mais les mesures pour endiguer cette deuxième vague venue d’Europe ont suivi immédiatement.

Depuis le début de l’épidémie, tout le monde fait très attention : les autorités ont d’abord interdit les arrivées de la Chine, enquêté pour trouver tous ceux qui étaient arrivés de Wuhan et les écoles et universités sont fermées depuis début février, juste après les congés du nouvel an Vietnamien. Depuis le début du mois de mars, les arrivées d’Europe sont testées et depuis mi-mars, les personnes automatiquement mises en quarantaine. Si un cas est identifié, tous les contacts jusqu’au quatrième degré sont mis en quarantaine.

Lors de mises en quarantaine de quartiers, de restrictions totales aux frontières ou de mesures en général, aucune sommation n’est faite. Les mesure sont prises instantanément, et ce de façon très réactive. Pourtant, malgré la brusquerie de ces mesures, la population les soutient. De façon classique en temps de crise,  certains doutes émergent, notamment quant à une supposée sous-estimation des chiffres officiels du compte tenu en direct des cas positifs au Covid-19 au VIetnam. Néanmoins, au vu de la mobilisation de tout un ensemble de fonctionnaires de la police, de l’armée, du front patriotique et de chaque membre de chaque comité du parti, la généralisation des tests et le zèle des fins limiers du pistage, je n’y accorde pas forcément de crédit.

Tout le monde porte le masque depuis deux mois, ce qui est désormais obligatoire dans l’espace public. Les avions sont désinfectés dès leur arrivée, les espaces publics suspects toutes les six heures. Des flacons de gel hydro-alcooliques sont à disposition devant chaque commerce, chaque ascenseur de chaque bâtiment commun. En février, les bars, musées et autres espaces accueillant du public ont une personne dédiée et portant un masque pour prendre la température des clients ou visiteurs avec un thermomètre frontal. Les usines textiles ont été réquisitionnées pour produire des millions de masques par jour, les milliardaires font des donations pour accroître les capacités d’accueil dans les services de réanimation des hôpitaux.

Les autorités sanitaires on développé un test Covid-19 qui prend deux heures, avec une capacité de production de 10 000 par jour, et ont commencé à envoyer des exemplaires pour mise aux normes en Europe (Ukraine et Finlande pour le moment)[1].

Certains comportements à risque de personnes positives au Covid-19 ont suscité une immense réaction des réseaux sociaux, confinant au lynchage. Le cas du patient 17, de retour d’Italie depuis le Royaume-Uni et n’ayant pas déclaré son passage en Italie en est un exemple. Le patient 34, qui a contaminé le plus de personnes depuis son retour des États-Unis, également. Ayant fait de la rétention d’informations, cette dernière a ralenti le processus de pistage des cas et fait désormais l’objet de poursuites judiciaires.

information à propos de l’ épidémie

Une application, qui liste chaque cas individuellement et donne sa localisation en direct sur une carte, a été créée par VNPT, le grand groupe public des Télécoms. Elle comprend aussi les informations essentielles quant aux démarches à suivre en cas de suspicion d’infection.

Les installations militaires sont réquisitionnées pour accueillir les cas en quarantaine, qui se comptent en dizaine de milliers. Malgré ce que l’on pourrait en penser, les conditions semblent tout à fait vivables, avec des personnes isolées britanniques le décrivant comme un « summer camp » (il est vrai qu’il s’agit d’une personne jeune[2]). Les vols vers l’Europe ont été annulés mais les rapatriements de Vietnamiens se poursuivent à grande échelle, de façon volontaire même si cela applique une quarantaine. Les tests y sont généralisés et 6000 personnes en sorte par jour, après une série de tests étalés sur plusieurs jours avant chaque sortie. A compter du 22 mars, tous les étrangers sont interdits d’entrer sur le territoire. La suspension du rapatriement de Vietnamiens de l’étranger a dû s’’appliquer pour laisser le temps aux préparatifs logistiques de la quarantaine massive d’être mis en place.

Le Vietnam a de nombreuses expériences de confrontations avec des épidémies depuis la crise du SRAS[3] en 2003, celle de la grippe aviaire et enfin celle du MERS[4]. Personne ne prend le sujet à la légère. Je vois déjà se profiler les commentaires disant que cela n’est possible que dans une dictature communiste. Je les invite à s’informer sur les méthodes très efficaces utilisées à Taïwan et en Corée du Sud, qui sont des démocraties. Une réponse efficace à l’épidémie semble avoir plusieurs volets : dépistage, confinement des personnes positives au Covid-19, mises en quarantaine des foyers d’infection, recherche systématique des malades et de toutes les personnes en contact avec eux, des informations claires et une véritable prise de conscience collective ainsi qu’une utilisation massive des applications sur téléphone. Les récentes données venues d’Allemagne semblent confirmer l’importance du dépistage généralisé.

Les interrogations sur les limites du respect de la vie privée que pose l’efficacité des procédés sont tout à fait justifiées. Il semblerait que les mesures liberticides prises en Corée du Sud (traque GPS, généralisation d’applications de suivi, utilisation massive de la vidéosurveillance) ont été acceptées à la suite de la décision de gouvernement de Corée du Sud d’être irréprochable sur la transparence. Il faut ajouter que cette transparence a été le choix d’un gouvernement, celui de Moon Jae-in, qui a succédé à un séisme politique qui a vu des millions de Coréens descendre dans les rues en 2017, afin d’obtenir la destitution de Park Geun-hye. Il semblerait qu’une véritable responsabilisation politique, le sérieux des préparatifs et une communication claire et transparentes soient les meilleures armes contre une épidémie, que seul un gouvernement organisé avec des décideurs compétents puissent manier.

Vincent Baumont est un vidéaste et réalisateur de films Français qui vit à Hanoï depuis 2009.

Le Vietnam sous-estime-t-il le nombre de ses malades du coronavirus ?

Alors que les mesures gouvernementales contre le covid-19 sont plébiscitées par la population et les observateurs étrangers[5], une partie de l’opinion s’interroge sur la réalité de ce qui s’apparente à un miracle[6] vietnamien : le faible nombre de cas reportés. Le Vietnam compte officiellement près de 98 cas confirmés, un total inférieur à celui de Taiwan,169, pays pourtant considéré comme une référence en Asie dans la lutte contre le coronavirus.

L’incertitude ressentie vis-à-vis de la situation sanitaire pourrait s’expliquer par le nombre relativement réduit de tests viraux réalisés au Vietnam, du moins jusqu’à leur industrialisation récente. Du 23/01 au 12/03, 2593[7] tests ont été réalisés, soit une moyenne de seulement 53 par jour. De ce fait, certains cas ont ils pu passer à travers la campagne de dépistage ? Ce n’est qu’à partir du 13/03 mars avec l’homologation d’un kit de test de masse[8] que la généralisation des examens viraux a pu être instaurée, le ministère de la santé annonçant ce jour plus de 17000 patients testés[9]. Ainsi que l’avance le Financial Times « comme ailleurs en Asie du Sud-est, avec une politique de tests limités, le véritable nombre de cas est sans doute beaucoup plus élevé » .

Au-delà de la polémique sur le nombre réel de victimes du coronavirus, c’est la notion de transparence de l’Etat qui est questionnée par l’opposition politique. Dans une interview pour Voice Of America[10], Đỗ Nam Trung, un observateur basé à Hanoi, pointe ce qu’il considère comme des incohérences dans le suivi des malades : « Comment se fait-il que le cas numéro 21 qui est un membre du Parti, bien qu’ayant voyagé, n’ait infecté personne ? Alors que les cas 17 et 34 furent contagieux » analyse-t-il. « J’ai le droit de douter de la transparence et des mesures de préventions [des autorités]. Il existe tant de faits vagues que la population ne croit pas » affirme-t-il.


Par la rédaction

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[1]        https://tuoitrenews.vn/news/business/20200317/vietnam-exports-homemade-covid19-test-kits-to-europe/53526.html

[2]    https://southeastasiaglobe.com/coronavirus-life-inside-a-vietnamese-government-quarantine/

[3]    Syndrome respiratoire aigu sévère. A l’époque, Hanoï avait été particulièrement touchée.

[4]    Le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) est une maladie qui a été détectée pour la première fois en Arabie Saoudite en 2012.

[5] Thayer Vietnam’s Response to the Coronavirus Pandemic https://fr.scribd.com/document/452261486/Thayer-Vietnam-s-Response-to-the-Coronavirus-Pandemic?fbclid=IwAR1f5xaCI35JzCc1lE3denpXsgA7HvvYwaj02wIVpCkETK1Ah_30nKqChnI

[6] https://www.aljazeera.com/news/2020/02/infected-patients-vietnam-cured-coronavirus-miracle-200228035007608.html

[7] https://tintucvietnam.vn/tin-moi-nhat-dich-covid-19-ngay-12-3-so-ca-nhiem-tai-viet-nam-van-tang-who-chinh-thuc-goi-covid-19-la-dai-dich-d233332.html

[8] https://sggpnews.org.vn/science_technology/vietnam-confidently-ensures-reliability-of-ncov-test-kits-86007.html

[9] https://ncov.moh.gov.vn/web/guest/trang-chu

[10] https://www.voatiengviet.com/a/doc-tai-dan-chu-vietnam-va-cach-doi-pho-covid-19/5335582.html

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Vincent Baumont est un vidéaste et réalisateur de films français qui vit à Hanoï depuis 2009.

3 COMMENTS

  1. Merci pour cet article extrêmement exhaustif, et qui lève en partie mes doutes sur le « miracle vietnamien ». En tout cas j’aimerais que ce soit vrai. Au début de la grippe aviaire (2007), je suis allée au VN avec mes enfants. A la campagne comme en ville personne ne prenait de précaution alors que le gouvernement appelait à l’observation des mesures sanitaires à tous les coins de rue. Finalement le VN s’en est assez bien sorti sans trop de casse. De toute façon les vietnamiens meurent de toutes sortes de maladies sans que personne aille vérifier de quoi ils sont morts.

  2. A ce jour, 01 mai 2020, peut-on avoir une idée quand même du nombre de décès lié au covid19 ? Autres remarques: La population vietnamienne étant très jeune, cela explique t-il en partie la faible mortalité liée directement au sars-cov-2 ? Et le pays étant encore très rural, les décès à la maison sont-elles importantes et, surtout, détaillées quant à leurs causes ? Merci.

    • Il n’existe pas actuellement de chiffres autres que ceux publiés par le gouvernement. Seules des études épidémiologiques plus poussées pourraient permettre d’affiner le constat, mais il n’est peut être pas possible à l’heure actuelle d’avoir des chiffres plus précis. tout d’abord déterminer le nombre de victimes à attribuer au covid est quelque chose d’assez difficile : on le voit en France, entre les décès à domicile qui ne rentrent pas dans les statistiques et les comorbidités, constituer un bilan exact en temps réel est peut être matériellement impossible. Ensuite le système de santé vietnamien connaît des faiblesses dans ses capacités de diagnostic. Sans forcément dans une volonté de dissimulation, des erreurs de diagnostic sont possibles et certains décès ont peut être été attribués à d’autres causes. Et les faux négatifs sont une possibilité, le pourcentage d’erreurs des kits de tests est évalué à 30%. Si on appliquait le dos de létalité observé en Thaïlande qui doit être de 1,7% au total de malades vietnamiens on aurait à peu près 3 décès Mais quoiqu’il en soit qu’il y ait 0, 3 ou plus de décès, là où nous avons des certitudes c’est sur la tendance. Celle-ci indique une crise maîtrisée : les hôpitaux ne sont pas débordés et on ne compte pas des milliers de morts ou de cas dans la population expatriée qui auraient été impossibles à cacher par les autorités.

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