Vo nguyen giap , surnommé le napoléon vietnamien s’est éteint à l’âge de 102 ans. Suscitant l’admiration de ses adversaires les plus convaincus qu’ils aient été français, américains et sud-vietnamiens, l’homme fascinait. Le parcours de Giap est celui d’un personnage à la fois  impitoyable, résolu et complexe , un chef de guerre qui recherchait comme le titrait sa biographie réalisée par Currey, la victoire à tout prix.(1)

Impitoyable, il a été contre les ennemis du Parti.  Après avoir été en charge de l’organisation de la guérilla contre les japonais, Giap dirigea ses armes contre les nationalistes vietnamiens. C’est ainsi qu’en 1946 dans l’intermède troublé  précédent la guerre d’indochine, Giap procéda à la  réduction de l’opposition non communiste du VNQQD(2) »Tuez les! Ecrasez-moi cette bande de traîtres au pays » se serait écrié un subordonné de Giap en ordonnant l’assaut du QG du VNQQD. Ces actions contribuèrent à inscrire les deux conflits indochinois dans un contexte de guerre civile entre vietnamiens, en superposition à la lutte contre le colonialisme et aux enjeux de la guerre froide.

Résolu, Giap le fut bien sûr face à ses adversaires occidentaux contre lesquels il révéla tout son génie militaire et ses talents d’organisateur. Durant la première guerre d’Indochine,  Giap se révéla un stratège opiniâtre qui s’attacha à transformer une guérilla populaire en une armée régulière dotée d’un matériel moderne livré par la République Populaire de Chine s’inspirant ainsi de l’expérience de la guerre révolutionnaire  maoïste. Pour mobiliser la population du Nord Vietnam, la République Démocratique du vietnam communisa de plus en plus la guerre, en lançant dès 1953 la réforme agraire pour rallier la paysannerie à sa cause. L’adoption du communisme de guerre ne se déroula pas sans résistances et provoqua un nombre important de désertions : pour la seule année 1952 près de 4906 fonctionnaires et 40000 réfugiés se rallièrent à l’Union Française(2) et en 1956 les soulèvements consécutifs à la réforme agraire obligèrent Giap à envoyer sa 325ème division dans le Nghe An pour les réprimer.(3)

Malgré tout la mue du Vietminh en  une armée moderne sera remarquablement menée à bien: dans un immense mouvement de mobilisation populaire près de la moitié de la population du Nord Vietnam contribuera directement à l’effort de guerre .(2)  Dien Bien Phu sera le point  d’orgue de ce passage de la guerre asymétrique à la guerre symétrique, les unités du vietminh faisant jeu égal en terme de professionnalisme et de puissance de feu (du moins en terme d’artillerie) avec les troupes de Castries. Si la victoire  est obtenue à Dien Bien Phu c’est cependant à un prix humain très élevé, le décompte des pertes réelles du vietminh reste aujourd’hui inconnu. Un prix pourtant acceptable selon la propre doctrine militaire du général :Every minute, hundreds of thousands of people die all over the world. The life or death of a hundred, a thousand, or of tens of thousands of human beings, even if they are his compatriots, represents very little. déclara giap (1) Et quand à Dien Bien Phu, ses hommes refuseront momentanément d’avancer devant les énormes pertes supportées, il qualifiera avec un certain dédain le comportement de ses troupes de  » passivité droitière ».(3)

Image reconstituée de Dien Bien Phu.(Par ailleurs il semble que le drapeau vietminh n’ait en réalité jamais été hissé sur le PC français)

Si brillante qu’elle ait été, la victoire de Dien Bien Phu qui avait été un véritable Chemin des Dames vietnamien(2) laissa l’Armée Populaire du Vietnam exsangue. Ce qui obligea Ho Chi Minh à négocier lors des pourparlers de Genève en 1954 ,un accord entérinant la partition du pays en deux Vietnam au sud et au nord du 17ème parallèle (2)(jusqu’à récemment on pensait que seules les pressions diplomatiques chinoises avaient forcé l’adoption de cet accord de paix  ) . Le coût  humain exorbitant des offensives de l’ APV durant la guerre d’Indochine poussèrent Giap et Ho Chi Minh à une profonde remise en cause  de  leur méthodologie militaire provoquant de grandes dissensions au sein de la direction politique de la République Démocratique du Vietnam.(5)

Car le général était plus complexe que sa légende : il était semble t-il opposé à la guerre totale contre les Américains et l’Etat du Sud Vietnam . En effet,  la conduite de la guerre divisa  le Parti Communiste Vietnamien qui était loin d’être une entité monolithique. Alors que Le Duan le nouveau secrétaire du Parti  était partisan de la guerre à outrance par le lancement d’une Offensive Générale qui devait se traduire par un Soulèvement Général au sein de la population sud-vietnamienne , Giap et Ho Chi Minh se prononçaient pour une approche plus indirecte. Giap faisait parti du groupe des « temporiseurs » (4)selon une expression de l’historien Pierre Asselin  appelés aussi « North Firsters » par Lien Hang Nguyen. (5)Pour les temporiseurs, la libération devait se réaliser par une guérilla prolongée , une approche conservatrice préservant à la fois les ressources nécessaires au parachèvement de l’édification du socialisme du Nord Vietnam et les  forces de l’insurrection vietcong.

Offensive du Têt

Le conflit entre les différentes factions connut son paroxysme durant l’année en 1967 à propos du lancement de l’offensive du têt : une purge touchant le clan des temporiseurs ,qualifiés de « révisionnistes pro soviétiques » par leurs opposants, atteignit même le cercle proche du général giap.(5) Celui-ci farouche opposant de l’offensive du têt s’exila temporairement au début de l’opération en février  mais revint au Vietnam pour assumer le commandement opérationnel des secondes et des troisièmes vagues de l’offensive. Comme Giap l’avait pressenti, l’offensive du têt fut un échec militaire – de plus les civils sud-vietnamiens ne bougèrent pas pour soutenir le vietcong ,le soulèvement populaire escompté ne se réalisa pas – et le lancement des vagues de mai et de septembre une erreur selon ses  propos rapportés par le colonel Bui Tin .(6)(Le têt représenta cependant bien le tournant de la guerre par sa portée politique et stratégique).

L’opposition de Giap  à la guerre totale se manifesta encore pour ce qui devait être la plus grande offensive de la guerre , l’offensive Nguyen Hue en 1972. Le général se résigna à prendre le commandement d’une offensive générale qui une nouvelle fois s’avéra un désastre et cet échec le poussa à démissionner de son poste de commandant suprême des armées.

Tout au long de la guerre, Giap s’insurgea donc contre la politique d’offensive à outrance de Le Duan. Car contrairement à ce qu’affichait la propagande d’ Hanoi, Giap ne fut donc pas l’architecte de la stratégie militaire nord vietnamienne (5)comme ce fut le cas durant la première guerre d’Indochine. Il échappa aux purges de Le Duan seulement en raison de sa renommée qui faisait de lui la vitrine militaire de la Révolution.  Giap resta cependant toujours un partisan du système en assumant sans se dérober ce qui restait de ses responsabilités de commandant en chef des armées -même si ces dernières furent fortement circonscrites par les hommes de  Le Duan comme le général Văn Tiến Dũng-  Même à contrecœur , il se pliera aux  ordres du bureau politique en lançant ses troupes dans des offensives qui s’avéreront très coûteuses en vies humaines. Giap reprit cependant une plus grande influence sur la direction de la guerre lors de son rôle pour l’offensive finale de 1975 qui s’avéra la plus tactiquement brillante et paradoxalement la moins sanglante de ses campagnes.(7) Après la guerre, Giap perdit ses prérogatives au Parti bien que restant une voix écoutée et un franc tireur dans le paysage politique vietnamien.

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source: libération

Génie militaire iconoclaste du XXème siècle , Giap était un héros paradoxal qui ne concevait la libération de son peuple que dans la radicalité d’un projet socialiste qui somme toute le consuma lui aussi quelque peu. Immensément populaire, un hommage mérité lui est rendu en ce moment même par des centaines de milliers de vietnamiens dans ce qui s’avère être les obsèques nationales les plus importantes depuis celles d’Ho Chi Minh. L’homme reste un mystère fascinant: comment un stratège autodidacte , un professeur d’histoire de formation a pu vaincre la fine fleur de West Point, Saint-Cyr et Dalat?

En savoir plus et sources: 

  • La meilleure nécrologie que j’ai pu lire , de François Guillemot http://indomemoires.hypotheses.org/11484
  • Interview with Bui Tin in Stephen Young, ‘How North Vietnam Won the War in Wall Street Journal, 3 August 1995(6)
  • Vo Nguyên Giap : la victoire à tout prix CURREY Cecil B.(1)
  • Hanoi’s War: An International History of the War for Peace in Vietnam  Lien-Hang T. Nguyen(5)
  • « North/South-firsters » forum discussion Pierre Asselin ,Vietnam Studies Group(4)
  • GIAP: PEOPLE’S WAR GENERAL VO NGUYEN GIAP(3)
  • Vietnam – Un État né de la guerre 1945-1954.  Christopher E Goscha (2)
  • North Vietnam’s Final Offensive: Strategic Endgame Nonpareil  Merle L. Pribbenow(7)
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