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Parmi les conflits qui émaillèrent l’Histoire de France, la Guerre d’Indochine fait figure de grande oubliée. Une absence des mémoires françaises qui s’explique par une large indifférence de la Métropole vis à vis sa colonie d’extrême orient, même à l’époque pendant laquelle le conflit se déroulait. De fait la guerre d’Indochine explique Louis Coppet historien à Paris I ne concernait directement que « les politiques, les militaires, l’administration coloniale et quelques industriels comme Michelin »

C’est dans le cadre de l’exposition itinérante, Indochine Regards Croisés que l’association l’Histoire par la vidéo, fondée par des étudiants en histoire de la Sorbonne, se propose de revenir sur le récit somme toute méconnu du conflit Indochinois.

L’exposition procède d’une double démarche : d’abord celle de laisser la parole aux témoins qui sont mis au centre du documentaire. Ensuite d’initier le visiteur au raisonnement de l’historien. Il s’agit par la multiplicité des points de vues exposés de se donner la possibilité de se forger son propre avis sur le conflit en croisant les sources et témoignages de tout bord.

Car selon Rachel Richez commissaire d’exposition il n’existe pas une seule version du conflit mais plusieurs tant du côté français que vietnamien.

L’exposition se propose ainsi de présenter au visiteur les différentes dimensions de cette guerre d’Indochine. Guerre de décolonisation par essence, le conflit indochinois se situe aussi dans la trajectoire de la guerre froide avec l’implication de la Chine Populaire de Mao à partir 1949 en soutien au Vietminh et le support matériel américain finançant vers la fin du conflit près de 80% des dépenses militaires françaises.

Indochine regards croisés présente ainsi les témoignages côté français de civils travaillant pour l’administration coloniale et de militaires pour le  Vietminh à l’image du colonel Dang Vang Viet, resté dans les annales militaires comme le tigre du RC4.

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Dang Van Viet. Crédits Photographiques Histoire par la vidéo.

Ces témoins s’expriment chacun à leur tour sur différents temps forts du conflit.

L’exposition fait notamment un travail remarquable pour relier le contexte indochinois à celui de la fin de la seconde guerre mondiale. On apprend ainsi que l’invasion japonaise en Indochine s’accompagna de ce qu’on peut considérer comme une opération de séduction des élites vietnamiennes dont on cultiva les sentiments indépendantistes. Il s’agissait de saper l’ordre colonial français pour intégrer l’Indochine dans l’orbite nippon et le projet de sphère de coprospérité japonaise. Ainsi selon le témoignage Xuan Phuong interprète dans le vietminh on enseigna aux écoliers indochinois le japonais et d’après Huu Ngoc commissaire politique VietMinh, le projet d’une Grande Asie débarrassée du colonialisme proposé par le Japon suscita temporairement un certain espoir au sein des mouvements anti colonialistes. Mais la révélation des visées impérialistes japonaises et la violence de l’occupation finit par retourner l’opinion indochinoise contre le japon impérial. Reste que la mise à bas de l’administration coloniale suite au coup de force japonais de mars 1945 donna l’opportunité au Vietminh de prendre le pouvoir à la suite d’une lutte contre les autres mouvements politiques vietnamiens dont il sortit vainqueur à l’issue de la Révolution d’Août de 1945.

La suite de l’exposition décrit l’émergence du Vietminh et son discours nationaliste affiché, facteur clé de sa politique de recrutement ; la bataille de Dien Bien Phu, les erreurs tactiques françaises et la joie des vainqueurs Vietminh ;la question des prisonniers de guerre, le contexte des accords de Genève qui mirent fin à la guerre. Sur la signification de la paix de Genève le témoignage d’André Arnaud administrateur colonial est instructif car il permet de faire le lien avec la guerre du Vietnam qui devait bientôt succéder au conflit indochinois. L’accord selon administrateur fut signé car il permit au Vietminh de « souffler » après 9 ans de combats. Mais cette pause stratégique explique t-il ne devait être que temporaire. Dans l’esprit du Vietminh avance André Arnaud , la partition du Vietnam en deux Etats ne devait pas constituer une solution pérenne et les négociateurs s’attendaient à ce que le Nord veuille conquérir le Sud tôt ou tard ce qu’il fît d’ailleurs.

Indochine, regards croisés – Une guerre oubliée ? n’est que le premier acte d’un projet plus vaste sur la guerre d’Indochine. La sortie d’un site web et d’un documentaire de 52 min est prévue. Ces contenus viendront compléter les propos déjà présentés. Avec l’exploitation d’une vingtaine de témoignages supplémentaires au total on peut s’attendre à ce que d’autres questions historiques non abordées durant l’exposition par manque d’espace soient évoquées:

  • L’usage de la torture par les services de renseignements français dont on sait qu’elle connut une certaine ampleur en Indochine bien qu’il ait été établi qu’elle ne fut ni systématique, ni encouragée par les autorités. (1) (2)

  • L’instauration d’un régime communiste au Vietnam,(3) la République Démocratique du Vietnam trouva dans le marxisme ses outils de mobilisation militaires parfois coercitifs (réforme agraire, campagne de rectification, camps de rééducation) mais aussi le modèle de société de Parti unique auquel le PCV aspirait et qui devait constituer le seul horizon possible d’un gouvernement post colonial.(4) Le projet indépendantiste du Vietminh ne se concevait que dans le cadre d’un national communisme d’inspiration maoïste, dimension peu mise en avant (voire dissimulée par le PCV) de la Révolution vietnamienne dont il a été retenu souvent que le caractère nationaliste.(5)  La lutte des classes, objectif de la Révolution qui ne sera appliqué qu’à partir des années 50 finira d’ailleurs par toucher durement certains témoins Vietminh du documentaire comme le colonel Dang Vang Viet qui verra son propre père assassiné durant la réforme agraire.(6)

  • Le rôle des soldats issus de l’Empire : l’interview d’un vétéran marocain est ainsi prévue. Perspective très peu exposée en reportage, l’implication des troupes coloniales fut d’autant plus importante qu’elle vint suppléer la faiblesse des effectifs venus de la métropole au point que ces derniers devinrent minoritaires dans les rangs du CEFEO.

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  • Enfin, peut être encore plus inédit, le témoignage d’un combattant vietnamien non communiste de l’Armée Nationale du Vietnam devrait être présenté. Une perspective très rarement évoquée de la guerre d’Indochine, c’est l’inscription d’une guerre civile entre vietnamiens au sein des problématiques coloniales et de la guerre froide du conflit. Louis Coppet explique ainsi que la guerre d’Indochine divisa durablement certaines familles vietnamiennes, Xuan Phuong soldate du Vietminh témoin dans le documentaire mit ainsi près de 45 ans à revenir dans sa maison familiale à Huê ! Il fut par ailleurs impossible pour l’équipe de production de pouvoir interroger au Vietnam même des témoins ayant participé à la solution Bao Dai, le tabou sur les vaincus de cette guerre restant encore très présent de nos jours. On pourrait ajouter que le caractère également fratricide du conflit indochinois se manifesta dès son origine(6): des combats féroces opposèrent les vietnamiens des camps nationalistes et communistes avant même le début officiel de la guerre contre la France. De 1945 à 1946 ces combats firent de 5000 à peut être 50000 victimes ,ce qui représente un nombre supérieur aux pertes des soldats venus de la métropole pendant 9 ans de guerre. Une véritable fracture vietnamienne (7) qui annoncera les divisions intra-vietnamiennes pour les décennies à venir. De plus par le « jaunissement » des troupes à partir des années 50, les vietnamiens de l’ANV et du CEFEO deviendront majoritaires dans les rangs des armées de l’Union et subiront également la plus forte proportion des pertes du camp non communiste.

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Indochine,regards croisés – Une guerre oubliée ? est donc une exposition à la fois évolutive et transmédia dont la publication finale à la rentrée 2015 de l’ensemble des contenus permettra d’en apprécier entièrement sa richesse. La partie physique de l’exposition permet dors et déjà au grand public d’acquérir des premiers repères et constitue une bonne entrée en la matière sur le sujet de la guerre d’Indochine mais aussi sur les principes de la démarche de l’historien. L’exposition sera de nouveau installée à l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne à partir du 5 octobre 2015 et son documentaire video  Indochine – En quête d’indépendance sera diffusé en avant première ce 2 septembre (vous pouvez essayer d’en remporter des places dans notre concours)

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  1. La pratique de la torture durant la guerre d’Indochine Jean-Marc Le Page, Institut d’Études politiques de Paris
  2. On pourrait ajouter que la torture fut aussi employée par le vietminh avec de nombreux excès (http://indochine.uqam.ca/fr/le-dictionnaire/565-h122-affair.html) mais là aussi sans caractère systématique (http://indochine.uqam.ca/en/historical-dictionary/1419-torture-democratic-republic-of-vietnam.html )
  3. Dossier de presse indochine regards croisés
  4. “Vietnam – Un Etat né de la guerre 1945-1954″ de Christopher E Goscha
  5. ‘It’s time for the Indochinese Revolution to show its true colours’: The radical turn of Vietnamese politics in 1948 Tuong Vu, University of Oregon
  6. Dang Van Viet, Souvenirs d’un colonel Vietminh. 1945-2005  http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/outre_1631-0438_2007_num_94_354_4273_t1_0385_0000_1
  7. Au coeur de la fracture vietnamienne : l’élimination de l’opposition nationaliste et anticolonialiste dans le Nord du Vietnam (1945-1946) François Guillemot 

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