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Ajout du 03 décembre 2023. Taï Luc, le chanteur du groupe La Souris Déglinguée est décédé à l’âge de 65 ans ce vendredi 1er décembre, selon le Figaro des suites probables d’un malaise respiratoire.

Formée en 1976, La Souris Déglinguée est l’un des plus anciens groupe de rock français encore en activité. Son leader et fondateur, Taï-Luc, est d’origine Vietnamienne bien que né en France. Ses paroles et musiques retraceront cette double culture.

Une musique à la croisée des chemins

Musicalement, le groupe joue des musiques qui ont bercé l’enfance de ses membres : rockabilly, punk, reggae, rock alternatif, jazz… Les premiers albums (période 1981 – 1988) évoquent essentiellement des thèmes portant sur la jeunesse française. Les références à l’Asie et en particulier au Vietnam sont légères, mais elles sont bien présentes dès le début.

Avec les années 90, l’époque est au changement. Le mur de Berlin est tombé, Nelson Mandela est libéré, on tire sur la foule à Tien-an-men. Culturellement, beaucoup de groupes alternatifs ne se remettront pas de ce changement d’époque. La jeunesse se reconnaitra davantage dans des mouvements tels que le rap (avec l’arrivée de NTM) et de l’altermondialisation (Mano Negra, le groupe de Manu Chao). Se pose alors la question de la survie de La Souris Déglinguée.

Certains membres du groupes arrêtent l’aventure, d’autres arrivent et vont apporter leur pierre à l’édifice. À la barre, Taï-Luc tient le gouvernail. Le groupe élargit considérablement son registre musical en intégrant de manière permanente une section de cuivres. Les quelques sonorités asiatiques présentes déjà sur les premiers albums vont prendre de plus en plus de place. Cela deviendra un marque de fabrique et la plupart des albums seront franchement inspirés par l’Asie. En 2005 sort l’album « Mekong » qui a la particularité d’être le premier album à ne parler que de l’Asie.


En 2014 est sorti l’album « Les toits du Palace ». à ce jour c’est le dernier album en date. Et comme le bon vin, La Souris Déglinguée vieillit bien. Cet album est fidèle à l’histoire du groupe. On y retrouve toutes les influences musicales depuis 35 ans, mais la cerise sur le gâteau c’est la maturité des textes et la maturité musicale. Le groupe se patine avec le temps et cet album est une véritable perle.

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L’authenticité comme une marque de fabrique

Une des particularités de l’écriture de Taï-Luc est d’inscrire ses textes dans une réalité palpable : il cite régulièrement ses amis, les lieux qu’ils fréquentent, ce qu’ils font au quotidien. Il parle de ce qu’il voit. Ce sont des sujets très simples. Loin des grands discours idéologiques ou militants, cette simplicité va toucher le public. La vie des gens simples, c’est indémodable et source d’inspiration éternelle. Au final, c’est ce qui perdure au temps qui passe.

Cet ancrage au réel permet au groupe d’éviter toute forme de démagogie et de récupération politique, ce qui était très en vogue dans les années 80. Il a été régulièrement reproché à La Souris Déglinguée d’être un groupe a-politique. En effet en France, il était très mal perçu de ne pas être ouvertement de gauche (« génération Mitterrand ») voire d’extrême gauche. Pour la culture bien pensante de l’époque (portée par les universitaires et les médias) ne pas affirmer être de gauche signifiait nécessairement être de droite, avec toutes les dérives idéologiques que la caricature impose. La Souris Déglinguée a su tenir droit dans ses bottes, contre vents et marées, contre la pensée dominante. Fidèle à elle-même, elle su continuer à jouer n’importe où, pour n’importe quels publics, sans discriminations à l’entrée. Elle a continué de puiser les thèmes de ses chansons dans la vraie vie.

À la fin des années 80, Taï-Luc multiplie les allers et retours en Asie, et pas seulement au Vietnam. Est-ce pour rester proche spirituellement de son père récemment décédé ou bien est-ce vraiment dans le cadre d’un réel intérêt intellectuel personnel vis à vis de l’Asie ? Peu importe. Toujours est-il que tout ces voyages vont profondément influencer son écriture, et qu’il va continuer à ancrer ses textes dans les nouvelles réalités auxquelles il se confronte. C’est probablement ce qui a permis à La Souris Déglinguée de se renouveler dans une période pleine de changements, et de survivre en résistant à toutes les modes.

L’empreinte de l’Asie se traduit à travers des thèmes récurrents dont voici les principaux : la spiritualité autour du bouddhisme, la nostalgie de l’Indochine, le Vietnam d’aujourd’hui, la défaite du Sud Vietnam, la Chine nationaliste, la dictature en Chine, les Khmers Rouges, la beauté (et la dangerosité) des femmes asiatiques.

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Un groupe indépendant et libre

La liberté de ton et l’indépendance d’esprit dont fait preuve La Souris Déglinguée depuis plus de 35 ans repose sur deux éléments : l’érudition de Taï-Luc et l’indépendance financière des membres du groupes :

L’érudition de Taï-Luc, on l’a vu, se traduit de part son ouverture d’esprit et de sa double culture franco-vietnamienne qu’il a su exploiter de manière constructive. Dans sa vie civile, Tai-Luc est enseignant à la section de siamois de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Paris), est depuis 1996 chargé du cours de diachronie et synchronie taï-kadaï : Sous la direction du professeur Gilles Delouche, il a soutenu en 2000, sa thèse de doctorat consacrée au Lü. Ses précédents travaux universitaires ont porté sur le vietnamien, le khmer et le lao. Il est aussi connu depuis plusieurs années, comme auteur et interprète de nombreuses chansons inspirées par le Mékong, de la source au delta. Le goût du contact réel a conduit Taï-Luc à une véritable expertise de nombreuses minorités et cultures locales de l’Asie du Sud-Est.

Par ailleurs, le groupe a toujours su conserver son indépendance en refusant d’appartenir à une maison de production. Pour survivre, les membres du groupes ont des emplois dans le civil. Ils ont produits leurs albums eux-mêmes, de manière artisanale parfois avec plus ou moins de réussite. Mais toujours avec sincérité et énergie. Cette liberté a un énorme cout humain, mais au final, 35 ans après, ils sont toujours là et libres.

Pour en savoir plus

Depuis plus de 30 ans, de nombreux fans les soutiennent, notamment en apportant une aide logistique pour l’organisation des tournées et la promotion autour des événements. Il s’agit de l’International Raya Fan Club que l’on peut contacter facilement sur Facebook. Autrement, sur ce même réseau La Souris Déglinguée et Taï-Luc disposent également de leur compte et l’on peut facilement les contacter. La Souris Déglinguée sera à l’Olympia le 9 Mai 2015. Votre serviteur a déjà sa place et pour rien au monde il ne ratera ça.

Ref : La Souris Déglinguée, Histoire d’un groupe de Rock’n roll par Olivier Richard
éd. Camion blanc, 34 euros


Tai luc dans un court métrage pour Saigon Samedi, le roman de  Khiem Do

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