Fragile, un tube malaisien domine les classements musicaux de la Malaisie à Taiwan en ridiculisant l’ultranationalisme chinois.

30 millions de vues en quatre semaines sur Youtube qui font du titre la vidéo la plus regardée du moment à Hong Kong et Taïwan. Fragile ou 玻璃心 (Coeur de verre en mandarin)  est le dernier brûlot de Namewee (黃明志), un rappeur malaisien connu pour ses prises de positions provocatrices contre le gouvernement de Pékin, et Kimberley Chen (陈芳语), une chanteuse australienne basée à Taiwan.

Derrière son apparence de pop rose bonbon, Fragile est une satire politique caustique. Sa cible, les petits roses ( 小粉红), comme on surnomme sur les réseaux sociaux les défenseurs acharnés du Parti Communiste Chinois.

Les petits roses sont réputés pour leurs campagnes de harcèlement lancées contre toute personne, marque ou pays susceptibles d’avoir “heurté la sensibilité du peuple chinois”. Dernièrement, la réalisatrice sino-américaine Chloé Zhao, l’acteur principal de Shang Chi, Simu Liu  ont été accusés par les petits roses d’avoir insulté la Chine (辱华). Leur tort ? Avoir évoqué le problème de la propagande et le manque de libertés dans leur pays d’origine, ce qui leur a valu d’être qualifiés de traîtres à la patrie sur l’Internet chinois.

Des petits roses au coeur de verre

Désolé de t’avoir blessé
D’avoir heurté tes sentiments
J’entends un son
Celui d’un coeur de verre qui se brise

对不起伤害了你
伤了你的感情
我听见有个声音
是玻璃心碎一地

Namewee s’amuse de la susceptibilité patriotique des petits roses dont le coeur de verre (玻璃心) semble se briser face à la moindre des critiques. Le titre égrène la phraséologie des ultra nationalistes chinois et la tourne en ridicule.

Dans le refrain, Namewee se dit ironiquement “désolé d’avoir heurté les sentiments” des petits roses, une allusion aux demandes d’excuses régulièrement exigées par ces derniers quand leur patriotisme est offensé. Le rappeur dénonce aussi la victimisation paranoïaque  des nationalistes chinois qui “pensent que le monde entier est leur ennemi”  (总觉得世界与你为敌). 

Durant le clip, un panda portant un panneau les initiales NMSL apparaît aux côtés de Namewee et Kimberley Chen. Il s’agit d’une référence à l’acronyme d’une insulte emblématique des petits roses , “Nǐ mā sǐle” (你妈死了) qui  se traduit littéralement par “ta mère est morte”. L’outrage, équivalent d’un “Nique ta mère” en français pour son niveau de vulgarité, est également largement employée par les bots du gouvernement chinois pour harceler les opposants au régime de Pékin. 

Pour la prospérité de Xi Jinping

Tu dis (tu as fait beaucoup d’efforts)
Ne change pas d’épaule (en marchant 5 kilomètres)
Transporte le coton et récolte le miel qu’il aime (pour la prospérité commune)

你说你 (很努力)
不换肩 (走了十里)
扛着棉花 采着它爱的蜂蜜 (共同富裕)

Fragile s’en prend également au président Xi Jinping et à son culte de la personnalité.

Comme contre cette prouesse étrange dont le président chinois se glorifie dans un documentaire de CGTN : le dirigeant se vante d’avoir réussi à porter un sac de blé de 100 kg pendant cinq kilomètres sur une route de montagne, cela sans changer d’épaule (不换肩 ,走了十里). Une “performance” ridiculisée par les internautes et  VOA chinese pour son caractère physiquement impossible. 

Le titre ironise également sur un credo du régime, la notion de prospérité commune (共同富裕), centrale dans le discours des autorités. Pour Namewee, il n’y a en fait de prospérité en Chine que pour les puissants et “Winnie l’Ourson” – le surnom de Xi Jinping utilisé par les internautes pour contourner la censure – en récolte tout le miel.

“Je suis (ethniquement) chinois […] est ce que je m’insulte moi-même ?”

Fragile n’a naturellement pas reçu un bon accueil en Chine populaire. Les comptes Weibo, un réseau social chinois, de Kimberley Chen et de Namewee ont été immédiatement suspendus dès la sortie du titre. Mais si le rappeur ne mâche pas ses mots contre le régime de Pékin et suggère que les Chinois consomment de la chauve-souris – un cliché qui a pu générer un racisme anti chinois en Occident durant la pandémie de Covid- Namewee réfute toute accusation de sinophobie : “je suis (ethniquement) chinois, est-ce que je m’insulte moi-même (par cette chanson) ? J’ai appris le chinois enfant, j’aime la culture chinoise”, assure-t-il sur Instagram. Le rappeur revendique pleinement faire partie de la minorité d’origine chinoise de Malaisie.

“Je suis fière d’être du bon côté de l’Histoire”

Car fait assez remarquable, c’est au sein de l’Asie sinophone – sauf bien entendu en Chine populaire où il a été censuré- et dans les pays de la région abritant une importante diaspora chinoise comme la Malaisie que Fragile domine les classements musicaux. “Je suis fière d’être du bon côté de l’Histoire” déclare Kimberley Chen face au succès de Fragile.

Une proportion grandissante des opinions des pays voisins de la Chine est en effet agacée par le nationalisme puéril des petits roses. Au point que de Bangkok à Taipei une partie de la jeunesse d’Asie s’est réunie au sein de la Milk Tea Alliance, un mouvement de solidarité transnational forgé sur Internet en réaction aux agressions permanentes des ultranationalistes chinois et contre l’autoritarisme en général.  

Car désormais loin de se résumer à un phénomène de China bashing venu d’Occident ainsi que voudrait la réduire les autorités chinoises, la contestation la plus critique à l’égard du régime s’énonce désormais en mandarin ou en cantonais, au sein même des minorités ou des pays d’Asie de culture chinoise que Pékin cherche tant à rattacher à son giron.

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