À l’occasion du retour sur les écrans d’Infernal Affairs et de la diffusion inédite en France des épisodes II et III, nous avons pu interviewer Andrew Lau, co-réalisateur d’une trilogie qui, 20 ans après sa sortie, marque encore le cinéma hongkongais. Pour en faciliter la lecture, l’entretien a été édité.

La trilogie Infernal Affairs est devenue une « œuvre culte » à bien des égards : nominée, récompensée, célébrée dans les cinémas du monde entier, parodiée par Wong Jing, réinterprétée à Boston par Martin Scorsese etc. A l’époque, était-ce votre but de créer une trilogie filmique aussi ambitieuse et influente ? Aviez-vous imaginé cet écho ou avez-vous été surpris par le grand succès du film ?

Quand j’ai lu le script pour le premier film, j’ai pensé que c’était un scénario avec beaucoup de potentiel. À l’origine, on avait prévu de réaliser un film avec un budget moyen, mais après la lecture du script j’ai senti que cela pouvait devenir une grosse production. Quand bien même je voyais le gros potentiel du film – on se lance toujours dans un film sans vraiment savoir comment cela va tourner – je ne dirais pas qu’à l’époque j’avais l’ambition de faire un film influent, mais plutôt de faire quelque chose de neuf avec ce script incroyable que j’avais. Quand le film est sorti et qu’il a connu un grand succès, évidemment j’étais surpris. Mais je pense qu’avec le travail qu’on a mis dedans, ce succès nous a vraiment confirmé dans nos choix.

Votre travail précédent comme Directeur de la Photographie est plutôt impressionnant, en travaillant sur trois longs métrages par an en moyenne, sinon plus, ensuite comme réalisateur vous m’aviez soufflé (j’avais 10 ans) avec The Storm Riders (1998) et The Duel (2000). Donc, de votre point de vue de réalisateur chevronné et endurci par les tournages, comment était-ce de concevoir et co-réaliser une trilogie « à deux cerveaux » avec Alan Mak ? Comment s’est passé le partage du travail artistique ?

On avait un bon style de travail ensemble. Sur le tournage, Alan (Mak) et Felix (Wong), le scénariste, se concentraient sur les répétitions pendant que je me focalisais sur l’aspect technique du tournage. Je les laissais répéter la scène en même temps que je me baladais autour, pour concevoir les plans de caméra et faire les ajustements. Alan avait l’expérience de la scène et cela a aidé tout le monde. Pour les réécritures du script, je laissais Alan et Felix écrire d’abord et ensuite je voyais s’il fallait apporter des changements.

Votre travail comme producteur m’intéresse également avec BoB and Partners Co. Ltd co-fondé avec Wong Jing et Manfred Wong, puis avec Basic Pictures. Avez-vous estimé nécessaire de créer Basic Pictures pour le financement du projet ? Était-ce pour préserver votre liberté artistique ? Pourquoi BoB and Partners Co. Ltd ne pouvait-elle pas produire seule ces films ?

En effet, j’estimais, au moment de rejoindre le projet, qu’avec mon nom associé au film, on pourrait avoir assez de fonds. Le problème n’était pas de préserver notre liberté artistique mais que le script méritait un plus gros budget. Avec le bon casting et le bon budget, j’ai pensé qu’on pouvait avoir un gros succès. À cette époque, BoB avait déjà été rachetée par Star East et j’étais déjà passé à autre chose.

J’ai beaucoup aimé votre travail sur le film Confession of Pain (2006), qui parle aussi de la voie de souffrance qu’endure le protagoniste, comme l’éternel chemin vers l’enfer de Infernal Affairs. La vérité cachée et les sacrifices que nous sommes prêts à faire pour la laisser cachée met le protagoniste en situation de grande détresse mentale. J’ai senti que les personnages de ce film venaient de l’univers d’Infernal Affairs, comme une réminiscence, et bien sûr le fait que Tony Leung soit également le protagoniste a encouragé ce sentiment. Quels aspects psychologiques de la culpabilité et de l’innocence vouliez-vous explorer avec ce film ? Peut-on le voir comme une suite cachée à Infernal Affairs ?

Je ne pense pas que Confession of Pain soit une suite cachée mais je peux voir les similitudes entre les deux films. Dans les deux films, le public connait les motivations derrière les actions des personnages principaux, mais ces derniers les ignorent eux-mêmes. Cela crée une vraie atmosphère de suspense dans les scènes. Comme dans Infernal Affairs, avec Confession of Pain je voulais explorer ce qu’un personnage tourmenté ferait, pas comme dans un choix entre le bien et le mal, mais à sa manière : comment justifie-t-il les choses ? Que ressent-il avec ses actes ? Est-ce que ce qu’il fait est réellement justifié ? Je pense que c’est très intéressant. Cela me rappelle à quel point le tournage de Confession of Pain a été dingue mais c’est une autre histoire.

Tony Leung Chiu-wai dans Infernal Affairs . Crédits The Jokers

Le choix d’une trilogie a rendu votre travail encore plus profond et complexe qu’il ne l’était déjà sur le premier volet ! Il y a le thème de la famille dans le second volet et une grande attention portée à la psychologie dans le troisième volet à travers le personnage d’Andy Lau. Pouvez-vous expliquer comment vous avez conçu cette progression entre chaque film de la trilogie ? Aviez-vous tout prévu dès le départ ou est-ce que chaque film a apporté de nouveaux éléments pour le suivant ?

Au départ, je voulais en fait tourner le troisième volet en premier mais l’opportunité de tourner le second volet s’est présentée la première. J’avais le sentiment que pour que les personnages progressent, on devait d’abord voir l’histoire des origines, un peu à la manière du Parrain (1972). Quand j’ai fait le premier volet, je n’avais pas l’intention de faire les suites, mais après avoir fait le premier j’étais devenu trop enthousiaste quand je pensais aux suites.

Sur votre vision en tant que réalisateur et producteur à propos de l’industrie du cinéma de nos jours. Pensez-vous que vous auriez pu faire la trilogie Infernal Affairs en 2022 ? Qu’auriez-vous fait différemment si vous l’aviez faite aujourd’hui ? Y trouverait-on les même sujets et thèmes ?

Avec le marché actuel, il serait difficile de faire le film avec une production entièrement hong-kongaise. Les coproductions avec la Chine sont quasiment la norme quand on parle de films à gros budgets à Hong Kong. Je crois que je pourrais toujours le faire aujourd’hui.

Ce qu’on avait avec le script d’Infernal Affairs était vraiment quelque chose de spécial, si on devait le refaire je ne changerais pas grand-chose. L’un des aspects les plus important d’Infernal Affairs est le thème de vivre cet « enfer permanent », donc je pense vraiment que je ne modifierais pratiquement rien.

Enfin, considérez-vous faire une nouvelle suite à Infernal Affairs ? Peut-on imaginer voir le poster d’un film Infernal Affairs 4 un jour ?

J’y ai pensé à l’époque, mais en fait je n’ai vraiment jamais sérieusement considéré faire un quatrième film. A un moment donné, ce serait trop ennuyeux de faire le même type de film encore et encore. Donc, je vous dirais que ce n’est pas de sitôt que vous verrez une affiche pour Infernal Affairs 4.

De grands remerciements à M. Andrew Lau pour son travail, son temps et pour ses réponses. De même, un très grand merci à l’équipe de Mensch Agency qui a proposé et organisé cet entretien.

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Thomas Riondet est diplômé de Sciences Po Lyon où il a étudié le monde japonais et travaille aujourd'hui dans la production cinématographique.

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