Troisième post, troisième de Yajurijo Ozu 🙂
Cette fois-ci, il s’agit de Fleurs d’Equinoxe, premier film en couleurs du cinéaste japonais. Critique d’actualité car une version restaurée inédite sort au cinéma le 22 janvier ! Petit tour d’inspection.
Spécialiste des drames familiaux, le cinéaste de Voyage à Tokyo et du Fils unique (si vous ne le saviez pas, il faut lire les autres posts du blog !) aborde des thèmes qui lui sont chers : les bouleversements sociétaux, les liens familiaux, l’entrée dans la modernité.
Wataru Hiriyama, est père de deux filles, dont Setsuko, l’ainée, est en âge de se marier. Alors qu’il porte volontiers un discours progressiste sur le mariage à son entourage, il se trouve soudain confronté à ses propres contradictions quand sa fille lui demande de se marier avec un homme que lui même n’a pas choisi. Il refuse alors : Setsuko ne se mariera pas avec lui.
Deux générations se font alors face : celle de la tradition, du père et de ses amis, marqués par les coutumes (très beau moment d’ailleurs lorsqu’à l’occasion d’un dîner entre anciens d’école, ils entonnent ensemble les poèmes de la littérature japonaise traditionnelle) et celle de la fille, aux cheveux courts, avec du rouge sur les lèvres et refusant de suivre ce que veut lui imposer son père.
La confrontation entre Setsuko et Hirayama en est caractéristique :
« _ Alors tu ne veux pas ?
_ Je ne veux pas quoi ?
_Tu ne veux pas que je cherche à être heureuse ? »
Le mot est lâché. Bonheur. Bonheur revendiqué par Tetsuko et qui passe par le mariage avec celui qu’elle aime, même si ce dernier n’est pas issu d’une noble famille. Bonheur d’une fille qui oblige un père à évoluer lui-même.
Il est vrai que c’est une erreur tactique grossière de Tetsuko de ne pas avoir préparé le terrain et pour un père, se retrouver devant un inconnu qu’on ne connaît ni d’Eve ni d’Adam demandant la main de sa fille, le spectateur pourra comprendre aisément sa confusion. On voit donc évoluer Hirayama tout au long du films : sa colère se retrouver au pied du mur, son désarroi, ses failles. Mais on devine l’amour qu’il porte à sa fille. Bien que bourru, il est touchant. En témoignent ses recherches sur le prétendant : auprès des employés, par un détective privé… En témoignent également les entretiens qu’il sollicite avec d’autres jeunes femmes qui réclament cette même liberté à propos du mariage pour mieux les comprendre : la fille de son ami, l’ami de Setsuko, Yukiko… On le voit ainsi contraint à changer sa mentalité, même si elle se fait au prix de sacrifices (d’où son agressivité, parfois, avec sa femme, qui prend plus aisément le parti de sa fille).
Les fleurs d’équinoxe, fleurs rouges qui fleurissent auprès des cimetières, sont ainsi emblématique des sentiments de Hirayama. Ces fleurs, appelées aussi « higanbana » sont fortement liées à la nostalgie et au regret. C’est le passage d’une génération à l’autre (d’ailleurs, on remarquera que le film commence dans une gare et se termine dans un train, les trains semble-t-il étant des endroits privilégiés pour Ozu), mais qui se teinte de nostalgie. Nostalgie de voir partir sa fille et nostalgie d’une ancienne époque.
Néanmoins, malgré tous ces commentaires, il ne faut pas croire que ce film est uniquement un drame. Si Ozu aime à mes yeux nous dépeindre les révolutions silencieuses : celles des traditions, des conflits générationnels… thèmes qui émeuvent le spectateur et rendent universels ses films, celui ci est très empreint d’humour avec des personnages secondaires hauts en couleur : l’employé de Hirayama, Madame Saski et Yukiko apportent incontestablement de la légèreté au film. On sourit, voire on s’exclame pendant le film.
D’un point de vue esthétique, on appréciera dans Fleurs d’équinoxe les teintes travaillées du film, avec un parsèment de la couleur rouge pour rappeler celle de la fleur d’équinoxe. On a souvent l’impression qu’il s’agit de tableaux ! Le réalisateur avait longtemps refusé de passer à la couleur et c’est sous la pression des studios de Shochiku qu’il se met à abandonner le noir et blanc. Premier film en couleurs très réussi.
On retrouve également la façon particulière d’Ozu de filmer. La technique « au ras du tatamis » correspond à la vision d’une personne assise par terre et immobilise les plans. Il faut savoir qu’Ozu choisissait le cadrage (les assistants avaient alors interdiction d’y toucher) et plaçait les acteurs dans le champs.
Ce type de technique renforce l’impression de « tableaux vivants ». Souvent, les scènes sont encadrées par des lignes verticales (couloirs, pans des murs, portes), et on voit les personnages entrer et sortir sans que le cadrage n’ait changé. Même novice, je peux ressentir la précision des cadrages et des scènes !
Fleurs d’équinoxe est à voir ou à découvrir dans les salles à partir du 22 janvier sous une version restaurée.
Remerciements en tout cas à Mathilde Gibault des éditions Carlotta