Poids lourd de l’animation japonaise, le studio Ghibli représente la quintessence d’un genre trop souvent aseptisé. A l’inverse de leur confrère américain, star des cours d’écoles avec des adaptations techniquement superbes mais à l’intérêt moindre une fois la maturité atteinte, celui-ci continue d’enchanter bien après. Proche d’une école française reconnue pour sa capacité à émouvoir autant qu’à interroger l’imaginaire du spectateur, il tend à prouver, si besoin était, son ambition formelle.
Prenons ce « Kiki la petite sorcière ». Il est pleinement caractéristique du style Miyazaki, entre féérie enfantine malicieuse et fable adulte désenchantée. Son graphisme simple mais détaillé narre la destinée initiatique d’une jeune sorcière en quête d’un apprentissage générationnelle indispensable pour perpétrer sa prestigieuse ascendance. L’espièglerie et la désinvolture de la gamine, agaçant dans son prologue par trop de simplicité, laisse peu à peu place à une sensible réflexion sur l’urgence de la transmission et du partage. Comment interpréter autrement ses rencontres régulières qui la verront aider toute une galerie de personnages tous aussi différents les uns que les autres? Il est aussi clairement identifié l’importance vitale de la création, sous quelque forme que ce soit. L’on croit ainsi deviner le portrait craché du maitre nippon lors des doutes et la remise en cause du statut de magicienne de l’enfant. C’est le sens des discussions philosophiques qui voit sa nouvelle amie ne pas hésiter à lui conseiller le repos et et l’inspiration buissonnière pour reprendre confiance en soi et repartir de plus belle. L’art, pour se renouveler, doit continuellement se confronter aux plus larges sources possibles sous peine d’atteindre rapidement ses limites. Nul doute que l’analyse sur le travail propre à tout artiste ait traversé sa pensée pour la fabrication de ce film.
Très présent dans son œuvre, l’élément naturel singularise ici la force biologique de la faune aérienne pour mieux révéler son incidence sur l’esprit humain. Tandis que le vent, élément moteur de l’avancée de l’héroïne et de ses congénères s’arroge en précieux partenaire, l’orage et les oiseaux migrateurs s’inscrivent dans un nécessaire rappel de son respect. L’auteur n’a jamais caché son amour immodéré pour la beauté du monde et n’y échappe pas dans cette énième version. Plaisir des yeux pour les plus petits alors que les plus âgés gouteront avec délectation un humour savamment dosé, il reste plus que convaincant pour le cinéphile qui prendra beaucoup de plaisir à suivre la transcendance des protagonistes. N’était une fin pas à la hauteur de l’ensemble, affirmerions nous que cet essai mériterait une place à part dans la carrière du génie? Assurément, tant elle mesure son inventivité réjouissante. En l’état, il reste hautement recommandable.