Le fils unique, premier film parlant d’Ozu réalisé en 1936, aborde à l’image de Voyage à Tokyo que surlequel nous avions dernièrement publiée un critique les liens entre parents et enfants dans le Japon de la première moitié du XXème siècle.
L’histoire ? Une fileuse de soi, veuve, vit avec son fils Ryosuke à Shinshu, petit village de montagne au centre du Japon. Celui souhaite partir étudier au lycée, mais les études sont coûteuses et la mère s’y oppose. Souhaitant néanmoins donner à son fils toutes ses chances, elle finit par le laisser partir, bien que cela signifie à la fois des sacrifices financiers et la réalisation angoissée d’une vie désormais seule.
Treize ans plus tard, elle vient lui rendre visite à Tokyo pour la première fois. Ryosuke, marié, est devenu père d’un petit garçon. Malgré les tentatives de son fils de lui montrer des conditions de vie sous ses aspects les plus favorables (il s’endettera pour pouvoir lui offrir le meilleur), elle et avec elle, le spectateur, se rend vite compte que la situation de Ryosuke n’est pas si enviable qu’elle l’imaginait…
Le fils unique est un film touchant. A l’instar de Voyage à Tokyo, Le fils unique est ancré dans une réalité sociale, une époque et un pays bien définis. Mais les thèmes abordés restent, comme dans Voyage à Tokyo, universels : celui de la famille, et plus particulièrement, de la relation entre une mère et son fils.
Le ton est donné dès les premières secondes du film : « le drame de la vie commence avec le lien entre parents et enfants ».
D’un côté, le drame, c’est l’amour d’une mère prête à tous les sacrifices pour que son fils réussisse. Sa frustration se laisse peu à peu deviner devant le constat du manque d’ambition de son fils et de la vie pauvre qu’il mène. De l’autre, le drame pour l’enfant, c’est ce sentiment de honte devant l’échec, réalité amère et implacable détruisant toute illusion. L’amour des parents permet à la fois de susciter chez les enfants une volonté de donner le meilleur de soi-même, mais les écrase en même temps de la culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur de leurs attentes.
Comment ne pas se sentir bouleversé devant cette scène dans laquelle Ozu confronte ces deux drames ? Lorsque Ryosuke reconnaît qu’il n’a pas réussi et évoque le fait qu’il ait fait de son mieux mais que la vie à Tokyo est dure, il sait pertinemment qu’aucun de ces arguments n’affaibliront la déception de sa mère. Car elle attend plus de son fils : plus d’ambition, plus d’efforts, plus d’acharnement. Les paroles de Ryosuke, treize ans plus tôt, raisonnent encore aux oreilles du spectateur, et on l’entend promettre à sa mère : « je serai un grand homme ». Lorsque son fils compare sa situation à M. Tomiko, ancien professeur venu à Tokyo pour réussir et devenu au final préparateur de porc, que répond-t-elle ? « Ce n’est pas pareil ». Non, ce n’est pas pareil. Car M. Tomiko n’a pas échoué d’un sacrifice d’une mère qui avoue à cet instant qu’elle a vendu terre et maison pour Ryosuke et qu’elle dort désormais au dortoir de l’usine. Moment poignant.
Cette vie dure, mentionnée par Ryosuke et dépeinte avec finesse par Ozu, c’est le Japon d’avant-guerre. L’industrialisation y est naissante (ainsi, Ryosuke, en banlieue de Tokyo, vit en pleine campagne), la compétition règne et les conditions de vie ne sont guère agréables (bruit de la machine jour et nuit, simplicité des maisons etc.)
Il reste néanmoins des aspects lumineux contrebalançant les couleurs parfois sombres du film et le pathétisme de certaines scènes : une solidarité solide entre les personnages malgré la pauvreté (par exemple lorsque Ryosuke donne le peu d’argent qu’il possède pour payer le médecin qui soigne son son voisin, blessé par un cheval) ou même la noblesse des sentiments (la femme de Ryosuke vend son kimono pour permettre à la mère de son mari de visiter Tokyo), pure et lumineuse.
Peu importe la dureté de la vie, la honte qui submerge ou les échec qui assaillent, les personnages restent droits et dignes. Le fils unique porte un regard tendre sur les hommes, portés par des valeurs, dans un monde qui se transforme.
J’ai apprécié le thème du film et l’approche d’Ozu sur le sujet est faite avec délicatesse. La simplicité apparente du film, sa longueur (le film dure moins d’une heure trente) semblent rapprocher Le fils unique à une sorte de conte. Mais ce conte est plus profond qu’il ne semble. Les silences, les postures et les regards expriment des sentiments plus forts que les mots et laissent deviner des émotions ambivalentes : la déception d’une mère et en même temps son amour inconditionnel pour son fils, la reconnaissance d’un fils pour une mère dont les jugements sont simultanément des tourments…
De plus, le film est d’un humanisme tendre, et si les gens sont pauvres, ils n’en restent pas pour autant admirables et fidèles à certaines vertus.
En tout cas, le fils unique, est un film à découvrir !
Le fils unique vient de paraître en DVD et bluray aux editions Carlotta films www.carlottavod.com. Nos remerciements à Elise Borgobello.