Avec un hommage de François Cheng

Le ciel de Nantes est propice au passage de météores tels que Lisa Bresner (1971-2007) – après Jacques Vaché (1895-1919). Un météore peut se définir comme « un corps céleste rendu lumineux par son passage dans l’atmosphère terrestre». On parle aussi d’étoile filante, en fusion, explosant en essaim, vaporisée. Ou encore de bolide. Comment lire cette image ?

Contours d’une œuvre dansante

Eblouissante, foudroyante, fulgurante : ce sont les adjectifs généralement associés à la trajectoire de Lisa sur notre planète, si brève, comme irréelle, n’étaient les innombrables traces de son passage dans notre atmosphère. Il faut les interroger, pour s’assurer que ce n’était pas juste un rêve. C’est ce que s’est proposé Damien Robin, à peine remis de la rencontre avec une œuvre singulière, dans Traits de lumière, un livre très soigneusement édité par l’éditeur nantais Art3, avec des illustrations de Nathalie Fréour, plasticienne et amie de Lisa, et un autoportrait dessiné par Lisa Bresner.

Lisa Bresner à Kyoto
Lisa Bresner à Kyoto

On mesure mieux aujourd’hui les contours de la production, hors du commun et en temps limité, de cette auteure à tout jamais jeune. Elle sut mêler romans, essais, traductions du chinois, livres pour jeune public, films, poésie, et philosophie partout. Elle illustra l’art de déjouer les barrières entre les genres, de contourner les frontières entre les cultures, de toujours réorienter les lecteurs vers des pistes nouvelles, semées d’interrogations, souvent dérangeantes. Danseuse (étoile et filante), virtuose, en perpétuel mouvement, en constante écriture, aérienne et déroutante, chamboulant les catégories, elle se mouvait avec fluidité dans les espaces qu’elle créait en les explorant comme si elle se trouvait partout en territoire connu, inconnu pour le lecteur à qui elle l’ouvrait. 

Adolescente, en délicatesse avec la langue française, on lui proposa un pas de côté, vers le chinois. Elle l’apprit, le pratiqua jusqu’à un un niveau soutenu sous la houlette bienveillante de Jacques Pimpaneau et de François et Anne Cheng, romança Lao Tseu, traduisit le taoïste Lie Zi et des poèmes chinois, dispersa des éléments de culture populaire asiatique dans des livres pour jeune public, fut accueillie par Gallimard, Actes Sud avec Melilotus, Picquier, et à Nantes par MeMo, merveilleux éditeur qui fit naître Quatremers le Céleste. Il y eut aussi les Douze animaux des Quatre Vents (Desclée de Brouwer) illustrés par Nathalie Fréour, qui retrouva à Kyoto son amie qui y était en résidence, Villa Kujoyama, et proclamait Pékin est mon jardin

Et ainsi de suite. Il y a quelque chose de taoïste dans la façon dont Lisa se trouve toujours ailleurs ; la vérité n’étant jamais dans le réel fallacieux, ou le réel ailleurs que dans son apparence.

Une approche périphérique

Le grand mérite de Damien Robin est d’avoir lui-même privilégié une approche périphérique et dansante, toute en légèreté. Tout d’abord parce qu’une étoile filante ne se voit que sur fond noir – et la zone noire existe bien dans la vie et l’œuvre de Lisa, ici préservée. Donc pas d’approche biographique systématique, qui reste souvent illusoire. Damien Robin a commencé par lire à l’IMEC (Institut Mémoire de l’Édition contemporaine) les 39 cartons d’archives de l’auteure et les 6 boites d’imprimés, contenant carnets, croquis, manuscrits, correspondances, scénarii, et sa bibliothèque en chinois même. Autant de questions qui surgissent, d’hypothèses, de rapprochements, de portes ouvertes ou entrebâillés, de lectures plurielles aussi. 

Damien Robin ne donne ni réponse ni clef, mais entreprend de nous faire visiter ce domaine aux sentiers qui bifurquent, ce jardin d’extraterrestre où le rêve est le vrai, la poésie le concret, l’ailleurs toujours présent, et l’autre si séduisant. Ne fixant jamais le regard sur le cœur de l’œuvre, il nous le donne à imaginer, grâce à une lecture périphérique, comme on conseille de pratiquer un regard latéral dans l’obscurité. Comme ses héros d’apparence enfantine, Lisa Bresner a plusieurs noms, elle se tient souvent là où elle n’est pas, et ses livres restent à vivre dans le regard de chacun – ou pas. 

Le livre de Damien Robin suscite l’envie de partir à la recherche de la seule découverte qui vaille, cachée dans la rencontre personnelle du lecteur avec l’auteure dont la flamme n’a pas fini de flamboyer, sans trêve. Pourquoi me vient l’image d’André Breton : explosante fixe ? Le nom de Lisa Bresner est gravé sur une pierre, posée sous un cerisier du Japon, dans le jardin japonais de l’île de Versailles à Nantes. Elle est là, et ailleurs, à jamais.

Douze animaux des quatre vents, pastels de Nathalie Fréour

Damien Robin, Traits de lumière, Lisa Bresner, une fulgurance, Art3 éditions, 2024

Nathalie Fréour, amie de Lisa Bresner, nous a confié cet hommage de François Cheng, à sa mort :

Lisa Bresner a été mon élève à l’université. D’emblée j’ai été frappé par sa beauté vivace et son évident talent littéraire. Elle excellait à transformer certains mythes chinois en des récits pleins d’esprit et de saveur.
Ses livres successifs, nous enchantaient, éblouissaient. Une sensibilité extrême, elle ne semblait pas apte à vivre dans un monde souvent brutal et cynique. 
Son brusque départ nous laisse désemparé, inconsolé.
Nous mesurons alors sa solitude et son désarroi né de son incapacité à faire face à ce que la vie exigeait d’elle, quotidiennement.
Mais ce qu’elle nous laisse réellement c’est ce trésor d’intelligence et de cœur qui demeurera incorrup­tible.
Il nous aide et nous oblige à vivre plus dignement.

Previous article« The Ultimate Dream » : migrations vers l’Angleterre, d’hier à aujourd’hui
Next articleAnna Moï, 80 mots du Viêtnam, L’Asiathèque, 2023
Henri Copin est membre de l'Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire, auteur de livres et d’articles sur la représentation de l’Indochine et de l’Afrique dans la littérature française.

1 COMMENT

Laisser un commentaire