A coté de la « grande histoire » existent toujours des aspects moins connus, des lieux, des domaines d’études. La botanique, les parcs, en font partie, au carrefour d’enjeux parfois politiques, de récits de la vie quotidienne, de perspectives scientifiques, plus ou moins oubliés. C’est la cas du prestigieux Jardin botanique de Hanoï, imaginé en 1886 par Paul Bert. Sa genèse, peu connue, se dévoile aujourd’hui dans un ouvrage sensible et savant de Jacques Van de Walle.
Qu’un jardinier écrive une histoire de jardin, quoi d’étonnant ? Que ce jardinier consacre ses efforts et son talent à un parc arboré en Normandie, où il vit principalement, agrémenté d’une roseraie et d’un verger, tout en racontant l’histoire du parc Bâch Thào de Hanoï, créé par les Français à la fin du XIXe siècle est déjà plus singulier, et suppose une curiosité nourrie par l’histoire et le sens des archives.
Et donc on ne s’étonnera point d’apprendre que Jacques van de Walle, c’est l’auteur, bénéficie d’une large et solide formation universitaire, alliant l’histoire et la géographie, les sciences politiques, et les sciences sociales à quoi s’ajoute un goût pour l’ailleurs stimulé par de nombreuses missions en Afrique, Asie et Europe.
Un tropisme particulier oriente l’auteur de cette Histoire du jardin botanique de Hanoï vers la capitale du Viêt Nam. Il y séjourne régulièrement, il en connaît les quartiers. Tout commence avec une peinture sensible de cette métropole de plusieurs millions d’habitants, cernée de gratte-ciels et d’autoroutes, sans cesse en activité. Et au milieu, un lac, des pagodes, des temples, un village de vieilles rues où le cœur de la « cité du dragon » palpite toujours, au-delà des guerres passées et du progrès envahissant. Le parc est là, comme intemporel, qui s’appela jardin d’essais, jardin d’agrément, jardin municipal, et aussi pour les Vietnamiens, jardin des cent plantes ou des herbes aromatiques.
Le livre s’ouvre d’ailleurs sur une citation du grand et sage Nguyên Traï, cher au cœur des Vietnamiens, lettré, stratège et poète du XIVe siècle : « Des pins escaladent les monts et leur feuillage vert s’étire sur des lieues, je m’y délasse à mon gré. Les bambous de la forêt verdoient à leur ombre, je chante mes poèmes. »
Ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage à vocation historique que de prendre le temps de faire percevoir au lecteur l’atmosphère singulière de ce lieu, porteur d’un riche passé, et simultanément voué à la conservation des multiples essences cultivées depuis des décennies, et aujourd’hui ouvert à la détente de tous. Gymnastes, danseuses, mariés en quête d’un cadre bucolique, jeunes militaires, joueurs d’échecs, de badminton, ou encore de dà câu (volant au pied) s’y croisent. Un lieu de vie, à l’ombre de ses 1 300 arbres de toutes origines, souvent remarquables.
Un lieu de mémoire aussi, pour qui s’interroge sur l’histoire des plantes, leurs provenances, les projets associés, et la façon dont il a traversé l’histoire, parfois troublée.
Les réponses se trouvent dans les dépôts d’archives du Viêt Nam à Hanoï, et de France à Aix- en-Provence, à la Bibliothèque centrale du Muséum de Paris, ou à la Bibliothèque historique du jardin tropical de Nogent-sur-Marne. L’auteur est allé les chercher. Le travail de l’historien prend alors le relais du poète de la ville, et organise un parcours chronologiquement structuré, partant des conceptions du jardin botanique de Singapour, avec l’hévéa, et de celui de Buitenzorg, avec le caféier. Le lecteur découvre avec intérêt les enjeux d’un jardin d’essais et de ses précurseurs, un médecin et un jardinier. Puis son évolution en jardin d’agrément sous l’impulsion d’un jeune gouverneur et d’un ingénieur agronome hors pair, et ses changements liés à l’histoire.
L’auteur appuie son parcours sur de nombreuses archives, au long d’un véritable parcours d’aventures, soutenu par un cahier de photos. Il répond méthodiquement à ces questions : « Qui développa la culture de caféiers, de quinquinas et d’hévéas ? Comment des plants de pommiers et des semences de céréales et de légumes embarqués à Marseille sont-ils arrivés à Hanoi pour y être acclimatés ? Et pourquoi l’intérêt des colons et des paysans vietnamiens pour des nouveaux plants a-t-il été remplacé par celui des citadins qui souhaitaient que le jardin botanique devienne un jardin d’agrément ? » Autant dire que cette Histoire du jardin botanique de Hanoï reflète celle du pays, et rappelle des enjeux non seulement savants mais aussi économiques, urbanistes, voire politiques. Le jardin au cœur de la cité.
On apprécie que ce travail plaisant par l’écriture et rigoureux par l‘information soit accompagné d’une bibliographie, et de deux index, noms de personnes et noms de lieux, fournissant ensemble un guide de promenade et un outil de travail. C’est un pan de l’histoire coloniale reliée à l’histoire du présent que découvre le lecteur, heureux de se perdre en ce parc, un livre à la main, goûtant le présent en apprenant le passé.
Jacques Van de Walle. Une histoire du jardin botanique de Hanoï, L’Harmattan, coll. Recherches Asiatiques, 2024, 204 p.