Reportage. Dimanche 9 février était organisée à Paris une manifestation en souvenir du docteur Li Wenliang par un groupe de citoyens chinois. Une première pour la diaspora de Chine en France.

Un concert de sifflements résonne sur une place de la Bastille battue par les vents. Ce soir-là, une foule de quelques dizaines de personnes majoritairement masquées est venue rendre hommage au docteur Li Wenliang. Le médecin de Wuhan avait tenté de prévenir ses pairs de l’émergence d’une nouvelle pandémie. Il en fut empêché par les autorités. Li Wenliang est décédé du virus covid-19 le 7 février, provoquant un immense émoi en Chine populaire. Siffler est devenu dès lors un symbole en mémoire du lanceur d’alerte, repris dans les rassemblements qui ont eu lieu ce week-end-là dans les communautés chinoises du monde entier.

De dimension modeste, une telle manifestation est cependant assez inédite pour le souligner : jamais auparavant en France, en dehors du milieu de la dissidence, on n’avait vu des ressortissants de nationalité chinoise s’exprimer en place publique sur la politique de leur gouvernement.

« Nous avons réussi à nous libérer de la peur »

« Personne n’a été organisateur, ou tout le monde l’a été » déclare Wang[1]. Comme le reste de l’assemblée, Wang soutient qu’il ne fait partie d’aucun parti ou mouvement politique, quel qu’il soit. Plutôt jeunes, les manifestants déclarent être des employés ou des étudiants tout à fait ordinaires. « Chacun est venu spontanément, par justice et conscience ».  Sans mot d’ordre particulier, la manifestation a réuni des personnes aux opinions différentes quant au sens à donner au rassemblement.

Rui justifie sa présence comme un simple hommage. Rare manifestant à visage découvert, il insiste : « Je ne demande pas la liberté d’expression mais la vérité. Je ne suis pas un révolté ».

Lin, elle, affiche clairement des revendications. Elle est là « pour la mémoire du Docteur Li Wen-liang et pour lutter pour la liberté d’expression, un droit que nous confère la constitution chinoise » souligne-t-elle. La manifestation représente pour Lin un accomplissement : elle a eu lieu malgré la condamnation explicite de l’hommage par l’ambassade de Chine qui a publié un communiqué [2] reprochant aux organisateurs d’être anti patriotiques et à la solde de pays étrangers. « Le rassemblement nous a permis de passer de l’internet à la rue. Nous avons également réussi à nous libérer de la peur ».

L’appel à une plus grande transparence de l’Etat semble cependant fédérer les opinions. Durant la manifestation, des extraits édifiants du procès-verbal établi contre le docteur Li Wenliang sont relus, provoquant une indignation unanime. « Nous vous avertissons solennellement que vous serez sanctionné par la loi si vous vous obstinez, si vous ne pensez pas à vous repentir et si vous continuez à pratiquer des activités illégales ! Avez-vous compris ? » demande à la foule un manifestant, reprenant une phrase de l’interrogatoire du médecin par la police. Ce à quoi le rassemblement répond en cœur « je ne comprends pas ! ». Devant un dazibao[3], reprenant les dernières paroles du docteur Wenliang, « Une société saine ne devrait pas avoir une seule voix », les participants déposent des fleurs.

Un Tchernobyl chinois

En fin de rassemblement, les langues se délient un peu plus. Dans certaines conversations, la critique contre le gouvernement se fait plus ouverte.

Chen lâche « moi, je suis pour la démocratie parce que c’est le système actuel qui a créé le problème ». Il déplore « le contrôle de l’information qui est la cause principale de la contagion. Vous vous rendez compte qu’il a fallu attendre 3 semaines depuis la révélation de la pandémie pour qu’il y ait des mesures importantes ? ». Après avoir été censurée, la lenteur de la réaction des autorités a été confirmée par les médias chinois, y compris par les publications affiliées au Parti Communiste chinois comme le Global Times [4]. Selon Chen, c’est l’organisation pyramidale de l’Etat chinois qui doit être remise en cause : « chaque niveau du gouvernement a tenté de cacher l’information pour éviter de supporter la faute. Cela s’est passé comme à Tchernobyl » analyse-t-il. « Il faut que le gouvernement soit responsable directement devant son peuple ».

Au-delà de la question de la pandémie, Chen considère l’absence de démocratie en Chine comme une entrave à son développement économique. « Je travaille dans l’industrie du divertissement. Les arts, les produits culturels chinois pourraient s’exporter partout mais avec la censure on n’y arrive pas ».

Chen concède que les défenseurs de la démocratie en Chine ne représentent qu’une minorité. Pour lui, les Chinois de manière générale évitent plutôt la politique. « La génération de mes parents dit que discuter de la politique est dangereux et inutile ». Il attribue cette prudence au fait que cette génération ait été dissuadée par le massacre de Tiananmen. « Pour notre génération cela pourrait être différent » explique Zhang. « Je suis devenue partisan de la démocratie lors des manifestations à Hong Kong. J’ai vu la différence de contrôle de l’information entre la Chine continentale et l’étranger où j’ai fait mes études ».

L’immense indignation des Chinois en faveur du docteur Li Wenliang pourrait-elle se muer en une contestation générale contre le Parti Communiste ? Cela reste incertain pour Robert, un français venu en soutien au rassemblement. « L’hommage à Li Wenliang est un moment important en Chine. Mais il pourrait basculer dans le sens d’une  revendication plus large comme dans une récupération au profit du gouvernement» tempère-t-il. « Des officiels locaux seront probablement limogés et Wenliang pourrait rentrer dans la martyrologie du Parti » prédit-il. « Mais quelque part cette pandémie, c’est la fin du Zhōngguó mèng, le rêve chinois ».

[1] Les prénoms ont été changés

[2]https://mp.weixin.qq.com/s/TlHdRPR0WSFBAWZyJFqZgQ?fbclid=IwAR12T86aqlbvOJpAqHqTk_iOo5yEMx_aYmzy5OLp0bGcTz0QVfz494K8ECg

[3] Un dazibao est en Chine un journal mural à visée souvent politique

[4] https://www.globaltimes.cn/content/1179602.shtml

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