Au cours des années 2010, Hong Kong a été plusieurs fois la scène de conflits violents les populations locales, les membres de l’exécutif (ExCo) et le Parti communiste de la République Populaire de Chine (RPC). Les mobilisations massives de 2019 contre la loi d’extradition sont le point culminant de ces affrontements. En dépit de forte contestation et de nombreuses manifestations, le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire de Chine a voté une loi sur la sécurité nationale le 30 juin 2020, sans la participation du Conseil législatif de Hong Kong (LegCo). Depuis son application, la situation des droits humains et des libertés publiques à Hong Kong est devenue critique. La loi permet désormais l’arrestation d’opposant.e.s politiques, la censure des médias et des atteintes importantes aux fondements démocratiques de Hong Kong. La contestation démocratique actuelle puise cependant sa source dans l’histoire longue du territoire. Retour sur des décennies de luttes qui ont forgé l’identité politique hongkongaise.

Hong Kong fut rétrocédé à la Chine au 1er juillet 1997. Chronologiquement, l’île de Hong Kong devint une colonie de l’Empire britannique par le Traité de Nankin de 1842. La partie sud de la péninsule de Kowloon intégra l’Empire après la Convention de Pékin en 1860, tandis que les Nouveaux territoires du nord furent cédés en 1898 pour une durée limitée à 99 ans.

Aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, le territoire de Hong Kong fut alors composé de l’île principale, de la péninsule de Kowloon reliée à la partie continentale et des Nouveaux territoires. Aucune démarcation naturelle séparait géographiquement Hong Kong de la Chine. Jusqu’au début des années 1950, les circulations furent relativement libres entre Hong Kong et la province de Canton et alimentaient une partie importante de la main-d’œuvre de l’île. En 1949, à la fin de la guerre qui opposa le Parti nationaliste et le Parti communiste chinois, de nombreux réfugiés des régions frontalières, celles du nord de la Chine et de la ville de Shanghai affluaient également vers Hong Kong. À leur arrivée, les populations les plus précaires durent se confronter à une société déjà fortement secouée par les périodes récentes de guerre. Ce fut paradoxalement durant cette période-là que Hong Kong connut le début d’une véritable reconversion industrielle et ascension économique.

L’après-guerre et les enjeux de négociations sino-britanniques

La question de la rétrocession de Hong Kong à la Chine fut posée dès le début des années 1940 par le gouvernement britannique et les deux dirigeants chinois de l’époque, Chiang Kai-shek et Mao Zedong. Néanmoins, elle ne fut pas exempte de complexité et d’hésitation de la part de chacune des parties impliquées. En 1945, en dépit des considérations divergentes au sujet de Hong Kong, le gouverneur Mark Young proposa un plan de réforme constitutionnel pour introduire un système de représentation plus populaire et démocratique. Le plan préconisa notamment la création des conseils municipaux élus, avec des pouvoirs et une autonomie sur les services publics, l’éducation, la protection sociale et l’aménagement urbain. Malgré l’approbation du gouvernement britannique, l’exécution du plan échoua face aux oppositions de la part des élites conservateurs et du gouverneur Alexander Grantham qui succéda Mark Young.

Durant ces années-là, la crainte des autorités britanniques fut moins l’ingérence chinoise dans les affaires hongkongaises que l’influence des populations locales dans les politiques de la colonie. Bien que le Bureau des Affaires étrangères du Commonwealth et le Bureau des Colonies britannique eussent des points de vue divergents sur l’avenir de Hong Kong, ils se rejoignirent lorsqu’il s’agissait d’éviter les confrontations avec les gouvernements chinois[1]. Le plan de réforme constitutionnelle de Mark Young posait donc un risque diplomatique, en donnant naissance à une proto-démocratie qui possèderait la forme d’un cité-état. De ce point de vue, il fut jugé à la fois inadapté et dangereux par la plupart de ses opposants. Ces appréhensions dominaient notamment au Bureau des Affaires étrangères, tandis que le Bureau des Colonies semblait opter davantage pour une émancipation progressive de Hong Kong[2].

La décision d’Alexander Grantham de retarder la ratification puis de supprimer la réforme de Mark Young façonna durablement la transition politique de Hong Kong pendant les décennies suivantes. Après la guerre de Corée, Hong Kong devenait le lieu où l’équilibre fragile entre l’Empire britannique et la République Populaire de Chine devait être maintenu. Face à la présence militaire des États-Unis dans le Pacifique et à l’intérieur du détroit de Taïwan, la RPC n’avait pas véritablement intérêt que le sujet de Hong Kong devînt un problème international. Cette grille de lecture et de compréhension des évènements locaux incitait les gouverneurs britanniques à prendre en compte la position du gouvernement chinois dans les affaires hongkongaises – qu’il fût nationaliste ou communiste à partir de 1949. Jusqu’à la rétrocession de 1997, ces stratégies de positionnement eurent comme conséquence des retards et des impasses dans les réformes majeures, qui visaient l’émancipation politique et l’instauration d’un véritable système de représentation à Hong Kong.

Hong Kong du temps de la colonisation britannique. Crédits Wiki Commons

Décolonisation, mobilisations et formation d’une identité locale

S’intéresser à la formation d’une identité locale, au sens où celle-ci est une construction sociale et politique constante, permet de comprendre certains aspects fondamentaux des luttes récentes à Hong Kong. Ce sujet apparaît d’autant plus important que cette identité doit prendre en compte et composer avec la diversité des populations vivant à Hong Kong.

Dès le XIXème siècle, les luttes anticoloniales et les révoltes de travailleurs à Hong Kong possédaient une dimension régionale. En 2017, un ouvrage sur l’histoire des premiers mouvements ouvriers à Hong Kong fut publié par Leung Po-lung. L’auteur y mentionna notamment le refus des ouvriers de l’industrie navale de réparer les bateaux français, lorsque ceux-ci voulurent s’arrêter dans l’arrondissement de Whampoa en septembre 1884. Avant le milieu du XXème siècle, Hong Kong fut un entrepôt et un port de commerce, par où transitaient d’innombrables marchandises et personnes. L’une des révoltes les plus significatives des premières décennies du XXème siècle fut la grève de 1922, pendant laquelle les marins de la province de Canton et de Hong Kong dénonçaient l’inégalité salariale et réclamaient une hausse de leur salaire. En dépit des répressions violentes de la part des autorités coloniales, la grève aboutit à une capitulation des employeurs et une augmentation de près de 30% des salaires initiaux.

À partir de la défaite du gouvernement nationaliste de Chiang Kai-shek, les révoltes anticoloniales à Hong Kong furent principalement menées par les membres et sympathisants du Parti communiste – actifs sur ce territoire dès les années 1920. Ces mouvements s’exprimaient notamment dans les émeutes de 1966 et de 1967, qui exposaient à la fois l’insatisfaction générale et l’éloignement des politiques coloniales des classes populaires. À la suite de la Révolution culturelle, qui atteignirent les territoires de Macao et de Hong Kong dès la fin de l’année 1966, la tension monta rapidement entre les syndicats, les ouvriers et les autorités coloniales.

Hong Kong 1965. Crédits Wiki Commons

Ce fut à partir des années 1970 que les générations nées à Hong Kong constituaient la majorité des habitants du territoire, par rapport aux personnes nées en Chine ou à l’étranger. L’un des évènements qui permirent à cette jeune génération de se former à l’action militante et d’accéder à une conscience politique locale fut l’éclatement du mouvement Baodiao en 1971, qui défendait alors la souveraineté chinoise sur les îles de Diaoyu ou Senkaku. Pour participer au mouvement, les jeunes lycéens et étudiants de Hong Kong initiaient des groupes de discussion, fondaient des revues et s’organisaient au sein des établissements scolaires. Ils s’affirmaient d’abord contre l’occupation des îles par les japonais, avant de s’ériger contre les répressions brutales de la police et des autorités coloniales. Défiant l’ordonnance sur la sécurité et l’ordre publique promulguée durant les révoltes de 1967, les militants de Hong Kong manifestaient dans les rues à partir de février 1971.

En dépit du sentiment nationaliste qui alimentait et fut souvent instrumentalisé au sein du mouvement Baodiao, ces luttes permirent l’émergence d’une voie qui pensait l’internationalisme et la solidarité entre les peuples opprimés. À la recherche d’une identité qui se distinguait désormais des discours coloniaux et du Parti communiste chinois, les jeunes militants de cette génération eurent l’occasion de réfléchir à une forme de régime anticoloniale, anticapitaliste et enraciné dans les revendications populaires. En ce sens, le mouvement Baodiao à Hong Kong exposait une multitude d’appartenances et de courants politiques nouveaux. Les nationalismes entraient en compétition les uns avec les autres, tandis que d’autres voies plus libertaires, anti-impérialistes et non-alignés apparurent. Néanmoins, ces alternatives ne furent pas exemptes de conflits internes et de difficultés. Les groupes qui soutenaient les idées apparentées à gauche tels que les anarchistes, les trotskystes, les socialistes et les libertaires furent les plus fragilisés par les dissensions internes et les confrontations avec d’autres mouvements nationalistes ou libéraux.

Ainsi, au tournant des années 1970, la formation de l’identité politique à Hong Kong devint à la fois singulière et multiple. Fondées au départ sur l’opposition à l’impérialisme et la solidarité des peuples opprimés, ces différents mouvements s’exprimèrent de nouveau au moment des répressions de Tiananmen en 1989. Le 21 mai, une coalition pro-démocratique nommée Hong Kong Alliance in Support of Democratic Movements of China fut créée. Elle eut le mérite d’avoir soutenu et aidé les militants chinoises et chinois persécutés par le régime de la RPC. Depuis ces évènements, une marche et une veillée au parc Victoria furent organisées chaque année pour commémorer l’anniversaire du 4 juin 1989. Jusqu’en 1997, les solidarités se maintinrent malgré les divergences et séparations au sein de la coalition. L’idée d’un horizon commun de démocratie et de progrès social, à la fois pour la Chine et pour Hong Kong, ne faisait pas toujours consensus. Ces scissions allaient marquer les mouvements politiques à Hong Kong durant les décennies suivantes.

« Silence is Compliance » : Lutter ici et maintenant

À la fin des années 1990, les fractures laissées par l’ancien système colonial et les luttes politiques qui structuraient l’histoire de Hong Kong continuaient de poser des problèmes majeurs à la construction d’un régime démocratique et indépendant. Néanmoins, les solidarités qui se sont exprimées pendant les révoltes du passé n’ont jamais effacé ou dissimulé la diversité des voix et des idées politiques. Il convient donc d’écarter toutes observations hâtives qui ne prennent pas en compte cette complexité.

Ce sont cependant les promesses non tenues des autorités qui alimentent et fédèrent contre elles une opposition hétéroclite qui se construit en réponse à l’autoritarisme. La rétrocession à la Chine devait se passer sans heurts pour les Hongkongais jurait en 1997 Pékin. « Le système économique et social et le style de vie » de Hong Kong est assuré d’être maintenu pour une période de transition 50 ans. Mieux encore de nouveaux droits jamais obtenus durant la colonisation devaient être accordés aux Hongkongais, comme le suffrage universel mentionné dans l’article 45[3] de la Basic Law, la mini constitution de Hongkong. La réforme inscrite donc dans la constitution ne sera pourtant jamais mis en œuvre.

Car loin de les voir progresser, les Hongkongais subissent une érosion continue de leurs libertés dans les années suivant la rétrocession. Ce qui en réaction, contribue à leur politisation et à l’affirmation d’une identité pro démocratique. Le 1er juillet 2003, le gouvernement tente de faire adopter un texte donnant des pouvoirs d’exceptions aux autorités pour les crimes de sédition, trahison ou subversion contre l’Etat. 500000 personnes prennent la rue pour protester contre la loi qui doit être retirée.

En 2014, des étudiants organisent le blocage du quartier d’affaires de Hongkong contre le projet de Pékin de choisir les candidats à l’élection du chef de l’exécutif en 2017. C’est le mouvement Occupy Central ou des Parapluies, que les manifestants utilisent pour se protéger des gaz lacrymogènes lancés par les forces de l’ordre. Le mouvement échoue, mais pour une nouvelle génération de jeunes militants c’est le baptême du feu qui aboutira à l’éclosion de nouveaux courants politiques, comme le localisme qui prône une identité hongkongaise distincte de la Chine.

Révolution des Parapluies 2014. Crédits Wiki Commons

En juin 2019, c’est une nouvelle fois les autorités qui poussent les Hongkongais à prendre la rue contre un projet de loi autorisant des extraditions vers la Chine continentale, un texte qui pourrait potentiellement s’appliquer aux opposants politiques. Les manifestations réunissent près de 2 millions de manifestants sur les 7 millions d’habitants que compte Hongkong. C’est un mouvement inédit dans l’histoire politique de Hong Kong qui se construit. La mobilisation est intergénérationnelle, sans leader, et repose sur l’intelligence collective d’une démocratie participative organisée sur les réseaux sociaux. Les rassemblements pacifiques à leur début se durcissent pour se défendre contre la répression des autorités qui envoient les triades tabasser les manifestants, déchaîne une violence policière jamais connue.

Une poignée d’actes violents sont commis par les manifestants envers des militants pro gouvernementaux. Des actes isolés qui sont alors repris et amplifiés par la propagande d’Etat pour dénigrer l’ensemble du mouvement aux yeux de la population chinoise. Pékin qui craignait une contamination démocratique du mouvement en Chine réussit son opération de désinformation. Désormais en majorité, les Chinois continentaux perçoivent les Hongkongais comme des agents étrangers liés à la CIA, et les plus xénophobes se mettent à traiter les membres de l’opposition de singes vietnamiens[4] comme nous l’avions analysé dans une enquête.

Le mouvement marque cependant des points, la loi d’extradition finit par être retirée et les partis démocratiques remportent la majorité des sièges lors des élections de districts de novembre 2019. Mais la contestation subit un important revers quand plus de 1300 manifestants sont encerclés et arrêtés dans l’université Poly U.

L’année suivante, la contestation est empêchée par les restrictions sanitaires dues au Covid. Le coup de grâce est donné par l’instauration d’une Loi de sécurité nationale qui vise à l’éradication totale du mouvement démocratique.

Depuis la mise en place de la Loi sur la sécurité nationale en 2020, les libertés publiques sont en effet supprimées à un rythme alarmant. Les commémorations du 4 juin 1989 à Hong Kong qui étaient emblématique de la liberté d’expression qui prévalait à Hong Kong sont réprimées et finalement interdites en 2022. L’atteinte à la sécurité nationale devient un motif arbitraire pour éliminer les oppositions politiques et verrouiller les libertés publiques. La loi a également introduit un contrôle étatique accru sur l’éducation, le journalisme et les réseaux sociaux. Les garanties constitutionnelles du principe « un pays, deux systèmes » sont ainsi supprimées. Désormais, toute accusation peut amener à des arrestations, des poursuites et des jugements, opérés selon le système judiciaire de la RPC.

Ni la démocratie, ni l’état de droit ne sont des données naturelles ou des acquis permanents. L’un et l’autre se construisent et se préservent face aux menaces constantes qui les guettent. En ce sens, le recul des libertés fondamentales et de la démocratie à Hong Kong doit nous affecter toutes et tous, en tant que citoyennes et citoyens. Le premier article de ce dossier porte ainsi le titre de « Silence is Compliance »[5], en soutien aux hongkongaises et hongkongais dans leur lutte pour défendre leurs droits et leurs libertés.

Du 23 juin au 2 juillet, l’Association Africa Hong Kong France (AHKF) organise un Festival du film de Hong Kong, des expositions et des discussions à Paris. La billetterie en ligne est désormais ouverte et les informations sur l’évènement sont disponibles à l’adresse suivante : https://www.hkfilmfest.fr/

Pour continuer de s’informer sur Hong Kong :

Karen Cheung, The Impossible City: A Hong Kong Memoir, éd. Random House, 2022.

IZ3W & Lausan Collective, “Hong Kong’s colonial system is still intact”, 25 octobre 2021. URL: https://lausan.hk/2021/hong-kong-colonial-system-is-still-alive/

Lau Kwong-shing, Hong Kong, cité déchue, éd. Rue de l’échiquier, 2021.

Leung Po-lung, “Hong Kong political strikes: A brief history” [香港政治罷工史], texte traduit en anglais par Promise Li et Edward Hon-Sing Wong, Lausan [流傘], 3 août 2019. URL: https://lausan.hk/2019/hong-kong-political-strikes-brief-history/.

Louisa Lim, Indelible City. Dispossession and Defiance in Hong Kong, éd. Riverhead Books, 2022.


[1] Les archives ont effet révélé que Zhou Enlai considérait toute action  visant à permettre aux Hongkongais de se gouverner eux-mêmes comme « un acte très inamical », susceptible de justifier une invasion de Hong Kong par la Chine populaire. Voir https://qz.com/279013/the-secret-history-of-hong-kongs-stillborn-democracy/

[2] Le point de vue du Bureau des Colonies britannique s’aligne avec la plupart des politiques coloniales des années 1950. Celles-ci consistaient à maintenir des liens politiques, économiques et militaires avec les colonies, tout en proposant des réformes législatives et institutionnelles qui prépareraient la viabilité d’un système politique postcolonial.

[3] https://www.basiclaw.gov.hk/en/basiclaw/chapter4.html

[4] http://lescahiersdunem.fr/singe-vietnamien-le-racisme-anti-vietnamien-dans-la-propagande-numerique-du-parti-communiste-chinois/

[5] « Silence is Compliance » est le nom d’un collectif d’artistes créé en 2020, pour commémorer l’anniversaire des manifestations de 2019 à Hong Kong. Ce projet a été porté par Young Blood Initiative, avec le soutien de Zine Coop et de We Are HKers.

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