Dans les villes vietnamiennes où le nom des rues est standardisé, peut-être vous est-il arrivé de passer à moto ou de donner rendez-vous dans une rue portant le nom de Mai Hắc Đế. En sino-vietnamien, le mot « hắc » signifie « noir », et « đế », « empereur ». L’histoire de cet empereur noir du nom de Mai est, selon la manière dont elle est racontée, tantôt une légende, tantôt un événement historique avéré. Commençons par raconter la légende.

Au début du VIIIème siècle de notre ère, le territoire qui est aujourd’hui le nord du Vietnam est sous la domination d’un empire chinois à l’apogée de sa puissance. Des mandarins sont nommés pour administrer ce territoire lointain ; ils ont compétence jusqu’au fleuve Lam (aujourd’hui situé dans la province de Nghệ An). Et comme tout administrateur qui se respecte, le mandarin chinois doit organiser la collecte des impôts et le paiement des tributs. L’un de ces tributs devait être payé en litchis et transporté jusqu’à Chang’An, alors capitale de l’empire du milieu. Parmi les porteurs de litchis se trouvait un jeune homme d’une force exceptionnelle du nom de Mai Thúc Loan. Sur la route, il tue les soldats chinois qui accompagnaient les porteurs et fait le serment, avec ses camarades, de libérer sa terre des envahisseurs. Bientôt, 300 000 hommes se rallient à lui. Ils construisent des forts et mettent les administrateurs chinois en déroute, et voilà que le jeune Mai se proclame empereur ! Le feu de la révolte dure plus de dix ans jusqu’à ce que l’empereur chinois Xuanzong se décide à envoyer une flotte pour amener les insurgés à résipiscence. Devant la supériorité numérique de leurs ennemis, l’armée de l’empereur Mai finit par plier aux allants de l’année 724, non sans avoir opposé une féroce résistance.

L’historien, à la lecture d’une telle histoire, est circonspect. Devant cette affaire de litchis, d’abord. A-t-elle été inventée a posteriori, comme pour donner un mythe fondateur aux nombreuses jacqueries et révoltes contre l’impôt de l’histoire vietnamienne ? 300 000 hommes, ensuite. Ce chiffre est-il en adéquation avec la démographie de l’époque ? On voit également combien la révolte, racontée ainsi, fait de Mai un « héros » patriotique comme les aime le roman national. Il a ainsi sa place bien au chaud sur les autels des temples confucéens et des palais, aux côtés des sœurs Trưng, de Trần Hưng Đạo ou encore de Nguyễn Huệ. Ce n’est un secret pour personne ayant traîné un peu ses guêtres au Vietnam : la nation s’est construite dans un rapport pour le moins conflictuel avec son imposant voisin septentrional.

Une fois que l’on a souligné ces ambiguïtés et dit que néanmoins, les documents administratifs chinois attestent d’une révolte entre 713 et 724, une dernière interrogation subsiste. Pourquoi cet empereur était-il « noir » ? La réponse des historiens vietnamiens est simple, voire simpliste : « le roi avait le teint noir, le peuple l’a donc appelé l’empereur noir ». A y regarder de plus près, une explication moins tautologique est envisageable. La famille de Mai Thúc Loan était originaire du village de Mai Phụ, dans le Hà Tĩnh actuel. Du fait d’une dispute avec les notables locaux, sa mère, enceinte, dut déménager pour s’installer de l’autre côté du fleuve Lam, dans le village de Nam Đàn. La mère mourut en donnant naissance à l’enfant, qui fut recueilli par une famille locale car il était de père inconnu. De père inconnu ? Engouffrons-nous dans la brèche ! Le royaume du Champa était à l’époque prospère et avait sa capitale plus au Sud, près de la ville actuelle de Đà Nẵng. Il y avait alors une grande circulation des personnes dans cette zone, et des échanges commerciaux et culturels entre les Vietnamiens et les Chams.

Est-il possible que le père de Mai fut un Cham ? Attention à ce que vous dites ! Tous les Français n’acceptent volontiers pas que Charlemagne fût franco-allemand !
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Louis Raymond est journaliste. Il s'intéresse aux questions sociales, politiques et historiques en Asie du Sud-Est et en Europe. Il est l'un des animateurs de la revue Les Cahiers du Nem et le secrétaire du bureau de l'association qui l'édite.

1 COMMENT

  1. L’affaire des litchis a une certaine réalité . L’empire de l’époque , c’était celui de la dynastie des Tang (Đường) , l’empereur Xuanzong (Huyền Tông en VN) plus connu sous le nom de
    Đường Minh Hoàng . Sa fameuse concubine Dương Quý Phi raffolait absolument des litchis
    ( vải ) . Des courriers express étaient organisés pour les ramener non seulement du Tonkin mais aussi du Kwang tung (Quảng Đông)et du Sseu tchouan(Tứ Xuyên) . Cela a été l’inspiration d’un poème Tang du célèbre poète Đỗ Mục 杜牧: Quá Hoa Thanh cung 过华清宫 :

    Trường An hồi vọng tú thành đồi,
    Sơn đính thiên môn thứ đệ khai.
    Nhất kỵ hồng trần phi tử tiếu,
    Vô nhân tri thị lệ chi lai!

    Dịch nghĩa
    Quay lại trông Trường An như gò thêu gấm
    Trên đỉnh núi, nghìn cửa lần lượt mở ra
    Một người cỡi ngựa tung bụi hồng, Quý Phi mỉm cười
    Không ai biết ấy là vải tiến về cung.
    La révolte de Mai Hắc Đế a certainement eu lieu mais il faut savoir que l’empire Tang comme d’autres avant et d’autres après lui ont intégré plein d’ethnies différentes et ont eu souvent affaire à plein de révoltes différentes au cours des siècles , que ce soit des révoltes de peuplades locales ou celles de séparatistes chinois .Les VN n’ont pas le monopole des révoltes et n’ont pas été les seuls à confronter les empires du nord .

    L’affirmation  » au Vietnam : la nation s’est construite dans un rapport pour le moins conflictuel avec son imposant voisin septentrional  » commence à être sérieusement périmée de nos jours . Certains historiens dont Keith W Taylor considèrent que les relations entre le VN depuis Ngô Quyên et ses voisins septentrionaux seraient similaires à celle entre Angleterre et USA

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