Le 13 janvier dernier, Lai Ching-te, le candidat du Parti Démocrate Progressiste (DPP) est sorti vainqueur des élections présidentielles taïwanaises. Les Cahiers du Nem sont allés à la rencontre des Taïwanais résidant en France qui ont soutenu le parti opposé au rapprochement avec Pékin.
“L’ambiance était à la fois sereine et tendue. Tendue, parce qu’aucun candidat n’était sûr de pouvoir gagner ; sereine, parce que les Taïwanais sont habitués à voter sans crainte depuis la fin de l’époque de la dictature”. Comme beaucoup de ses compatriotes expatriés, Léa Wang, une Taïwanaise qui vit depuis vingt ans à Paris, a dû revenir dans son pays natal pour voter aux dernières élections présidentielles et législatives à Taïwan qui se sont tenues le 13 janvier dernier.
Une obligation de vote sur le territoire du pays organisée selon le système taïwanais d’enregistrement des logements, le hukou. “Les électeurs sont uniquement autorisés à voter en personne au bureau le plus proche de leur adresse enregistrée”, explique Fu-Yuan Cheng, président de l’association franco-taïwanaise FamiTié qui propose de nombreuses activités culturelles et linguistiques à Paris. “Si un Taïwanais déménage dans un pays étranger, il devra enregistrer son adresse dans le logement d’un des membres de sa famille et ira donc mettre son bulletin de vote à proximité de ce dernier”.
L’absence de possibilité de voter à l’étranger s’expliquerait également par la volonté des autorités d’éviter des “manipulations de votes qui pourraient notamment viser le million d’électeurs taïwanais vivant en Chine”, estime James Ke, secrétaire général de “Formose en France”, association qui vise à promouvoir la culture taïwanaise en France, à renforcer l’identité taïwanaise, et à favoriser les relations franco-taïwanaises grâce aux échanges au sein de la société civile.
La mobilisation des Taïwanais d’outre mer
Avec près de 40,1 % des suffrages, Lai Ching-Te candidat du Parti Démocrate Progressiste (DPP), le parti actuellement au pouvoir dont la ligne est opposée à un rapprochement avec Pékin, est sorti vainqueur de l’élection présidentielle. Un succès historique pour le parti vert, qui parvient à éviter l’alternance après deux mandats de la présidente sortante Tsai Ing-Wen. “La majorité a opté pour le chemin de la démocratie et de la liberté”, se félicite James Ke qui est également revenu dans son pays afin de voter pour Lai Ching-Te.
En France, les soutiens du DPP se sont plutôt mobilisés pour l‘élection. Outre le retour de votants résidant dans l’Hexagone à Taïwan, “des clubs de soutien au DPP ont été créés”, révèle James Ke.“La mobilisation a été forte mais moins importante que l’élection précédente” (en 2020 pour la réélection de la présidente Tsai Ing-Wen) quand la répression du mouvement démocratique à Hong Kong par la Chine sonnait comme “une grande alerte ”, pointe cependant Léa Wang qui a voté pour le DPP.
Un vote pour “défendre la démocratie”
Léa Wang justifie par ailleurs son vote pour Lai Ching-te, par la volonté du candidat de “défendre la démocratie et les valeurs universelles.” Pour l’expatriée taïwanaise, “le nouveau président met l’intérêt de Taïwan en première place et il est le seul candidat qui affirme sa position face à la menace de la Chine”, fait-t-elle remarquer.
Les Taïwanais d’outre mer- du moins ceux qui soutiennent le DPP- semblent en effet particulièrement sensibles aux enjeux internationaux et aux menaces venant de Pékin. James Ke a ainsi voté pour Lai Ching-te car le candidat mettait “l’accent sur l’autonomie et l’identité taïwanaise”.
Taïwanaise ayant vécu sous le régime militaire durant son enfance, Léa Wang raconte quant à elle qu’elle a été longtemps indifférente à la politique avant de se mobiliser un fois hors de son pays. “J’ai voté pour la première fois en 2020 car j’ai été témoin du progrès qu’a accompli Taïwan depuis l’étranger. J’ai alors réalisé à quel point je devais protéger mon pays: le régime politique de la Chine n’est pas compatible avec nos modes de vie à Taïwan”, insiste-t-elle.
Une victoire mais pas un triomphe
Mais malgré l’élection de leur candidat, les Taïwanais de France qui ont soutenu le parti vert ne triomphent pas. “Je n’appellerais pas cela une victoire pour le DPP”, regrette Fu-Yuan Cheng qui soutient le parti démocrate progressiste. “Par rapport à il y a 4 ans, le parti a perdu pas mal de voix et M. Lai Ching-Te a un peu profité de la séparation de deux autres adversaires”, souligne le président de Famitié. Alors qu’en 2020, Tsai Ing Wen avait été élue avec 57,13% des suffrages, Lai Ching-te est devenu président sans bénéficier d’une majorité de votes, le score cumulé des 2 autres candidats de l’opposition s’élevant à 59,9 % des voix.
Plus encore, le fait que le DPP ait perdu lors de cette élection sa majorité au Yuan législatif, le parlement de Taïwan, constitue une “alerte” susceptible d’entraîner d’éventuels “boycotts de la part des partis d’opposition”, craint James Ke. A l’Assemblée, le principal parti d’opposition, le Kuomintang (KMT) a ainsi obtenu 52 sièges contre 51 pour le DPP. Le troisième parti en lice, le Parti populaire taïwanais (TPP) à quant lui récolté 8 sièges.
La contre performance relative du DPP peut s’expliquer par des enjeux locaux qui ont eu une plus grande importance lors du vote pour les élections législatives. “En tant que Taïwanais vivant à l’étranger, pour moi le plus important est notre position politique vis-à-vis de la Chine”, avance Fu-Yuan Cheng. Mais “pour les autres Taïwanais vivant à Taiwan, le coût d’achat des logements, les loyers, l’énergie nucléaire ont été les enjeux nationaux les plus importants. Ce sont peut-être les principales raisons qui ont affecté la tendance du vote à cette élection”, décrypte-t-il.
Le spectre de la désinformation
“Le fait que Tsai Ing-wen ait eu plus de votes que Lai Ching-te est le signe d’un mécontentement d’un certain pourcentage de la population par rapport à la politique du DPP par exemple sur les salaires”, ajoute de son côté, HP membre du club des Taïwanais, une association qui prône l’indépendance de Taïwan. Si les fondamentaux de l’économie taïwanaise sont restés solides, la croissance économique du pays a été volatile en 2023 avec une récession au premier trimestre effacée ensuite par un rebond. “Une partie de la population a pu aussi ne pas ressentir dans sa réalité quotidienne, l’essor économique relativement robuste – à l’échelle des huit années de la présidence Tsai-Ing Wen – qu’a connu Taïwan”, reconnaît également HP. Un sentiment qui a pu être “manipulé par le gouvernement chinois au profit d’une désinformation”, craint HP.
Les élections taïwanaises ont en effet l’objet d’une campagne massive de désinformation, vraisemblablement de la part de la Chine populaire. “Il y a eu de nombreuses fake news contre le gouvernement, comme par exemple sur la pénurie d’œufs ou sur les vaccins. Même ma mère a entendu ces rumeurs au marché pendant qu’elle faisait les courses”, témoigne Léa Wang. “Sur Tiktok, ajoute HP, des attaques ridicules ont été lancées contre Lai Ching-te comme quoi il aurait eu une femme et un fils secret”. Reste que cette désinformation ne semble pas avoir eu d’effet décisif sur les élections, les autorités ayant réussi à mobiliser la société civile contre ses effets délétères.
Le TPP, cible de l’influence de la Chine ?
Pour autant, avertit HP, l’ingérence de la Chine pourrait continuer de se faire sentir au sein même du parlement. “Les indépendantistes comme moi sont très inquiets de la situation au Yuan législatif. Notamment parce que le TPP a maintenant une influence très importante au parlement”. Avec huit sièges remportés à l’Assemblée, le Parti populaire taïwanais peut désormais jouer le rôle d’arbitre, aucun des grands partis ne disposant d’une majorité absolue. Or pour HP, le chef et candidat aux élections présidentielles du TPP, Ko Wen-je, est “un opportuniste, classé par plusieurs journaux internationaux comme plutôt proche de la Chine.” D’ancien soutien du mouvement des Tournesols de 2014 contre un accord commercial avec la Chine, Ko Wen-je s’est en effet depuis considérablement rapproché du Kuomintang, en allant jusqu’à lancer une tentative de candidature commune avec le parti bleu, avortée en novembre dernier. “Ko Wen-je est un homme politique changeant et qui a une vision à court terme. La Chine pourrait avoir une influence plus forte sur lui notamment grâce à l’économie”, estime ainsi HP. Ko Wen-je s’est ainsi prononcé pour une relance du même accord commercial avec la Chine contre lequel il s’était opposé en 2014. Durant la campagne électorale, le candidat du TPP s’est toutefois déclaré pour le maintien du statu quo et prône à la fois la “dissuasion et la communication” avec Pékin.
“Chaque élection à Taïwan est toujours marquée par une angoisse, celle de la mort de la nation, si un parti pro-chine venait à avoir un vote majoritaire”, regrette HP. “Et cette angoisse est un instrument politique : le DPP pourrait manipuler cette dernière pour avoir plus de votes tandis que l’opposition pourrait affirmer que la menace (pour la paix) est dûe au DPP”, critique le militant pour l’indépendance de Taïwan. Pour HP, contrairement à ce que peuvent présenter certains médias étrangers, loin d’être un plébiscite à propos de l’indépendance du pays, les élections taïwanaises ne seraient désormais plus “qu’un choix fatal entre statu quo et unification”. Prisonniers de ce dilemme politique, “les partis indépendantistes sont devenus de plus en plus minoritaires. Mais si les voix de l’indépendance sont plus faibles, le danger de l’influence de la Chine sera plus important”, avance l’activiste.