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Caprice de saison

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Aujourd’hui, Khanh a dix ans. Le torse bombé, un bâton de bambou à la main, il sort de chez lui, convaincu que le voisinage le trouvera désormais différent. Comment pourrait-il en être autrement ? Lui-même se sent prêt à braver tous les dangers de la jungle. Ses petits frères, eux, sont impressionnés par ses allures de ninjas.

Pour fêter son anniversaire, Khanh aimerait se faire une belle salade de fruits, son dessert préféré. Son grand-père lui a maintes fois expliqué les stratagèmes mis en place par la nature pour se défendre mais aujourd’hui, il se sent assez grand pour cueillir lui-même tous les fruits nécessaires.

En avant pour une belle noix de coco ! Ce jus si léger, cette chair onctueuse, hummm… Khanh en bave d’envie. Plus il grimpe au cocotier, plus il salive. L’arbre tutoie les nuages mais il n’était pas question d’attendre qu’une noix tombe du sommet. Seulement, bien avant que le garçonnet ait atteint sa cible, un chimpanzé lui en fait voir. Ouille, quelle humiliation !

L’important : ne pas se laisser intimider, garder son objectif en tête. Hélas, après cette agression, le premier fruit qui se présente à Khanh dégage une odeur atroce. Pire encore, il fait peur. C’est un durian, une boule piquante qui pend par dizaine aux branches d’un arbre que l’enfant n’a encore jamais approché de si près. Voilà qui réveille ses instincts téméraires. Pour se prouver sa bravoure, le petit s’avance sous les branches. La tête dans les épaules, il marmonne « J’ai pas peur, j’ai pas peur, j’ai pas peur ».  Le baptême du feu est terminé. Ouf, de justesse !

Que d’émotions ! « Remettons la cueillette à demain », pense Khanh. Mais dans la nuit, il se met à rêver d’un dragonnier majestueux, aux feuilles rutilantes. Le songe vire au cauchemar quand il voit le cactus se mettre en mouvement dès qu’il s’en approche. Des tentacules vertes, géantes, le pourchassent. Heureusement, le gamin s’enfuit après avoir chipé un fruit de ce monstre végétal. Mais quel dommage, au réveil il ne se souvient plus du goût de son trophée !

En se préparant ce matin-là, Khanh choisit de se rabattre sur une pastèque, une belle grosse pastèque, bien ronde et bien lourde. Il en faut du courage pour la faire rouler la jusque chez soi. Tout se passe à merveille. En revanche, Khanh doit faire attention aux morceaux que lui tend sa mère au goûter. Comme beaucoup de Viêtnamiens, elle adore tremper ses bouts de pastèque dans du sel pour en faire ressortir le goût. « Beurk! »

Le plus sage reste la papaye. Les fruits poussent tout autour du tronc du papayer, parfois jusqu’à atteindre le sol. Faciiiile ! Il n’y a qu’à tendre la main. Khanh rentre chez lui tout fier avec une belle papaye. Elle est un peu verte mais il est certain qu’elle fera l’affaire au dessert. Quelle déception quand il voit sa prise tranchée en lamelles, baignant dans du nuoc mam, avec de l’ail et du piment. Effrayé, il n’ose pas y toucher.

« Tu n’aimes pas cette salade, petit ? Lui demande son grand-père. Ce n’est pas grave. Plus tôt que tu ne le croies, tu seras assez mûr pour apprécier certains mets. »

L’enfant écarquille les yeux. Il tremble presque et bredouille en s’imaginant pendant à un arbre la tête en bas :

« Moi, mûr ? Comme un fruit ?! »

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