Il y a cinquante ans, le 30 avril 1975, Saigon tombait. Ou bien était libérée. Avril noirTháng Tư Đen, jour de la libérationNgày Giải Phóng, jour du ressentiment nationalNgày Quốc Hận, jour de la réunificationNgày Thống Nhất… En vietnamien, les nombreuses dénominations de la date qui marque la fin de la guerre du Vietnam disent tout de la fracture mémorielle qu’elle incarne. Pour les Vietnamiens, le vécu du conflit fut une expérience fratricide, fracturée, contradictoire.

À l’occasion du cinquantenaire de la chute de Saigon, Les Cahiers du Nem consacrent un dossier spécial à la guerre du Vietnam, avec la volonté de présenter un regard aussi complet que possible sur l’événement, sans céder à la complaisance.

Comment se remémorer la guerre du Vietnam ? La discipline historique apporte des éléments de réponse. Ces dernières années, des historiens spécialistes du Vietnam ont entrepris de renouveler — voire de révolutionner, selon les termes de certains d’entre eux — notre compréhension du conflit, en opérant un renversement des perspectives. Il s’agirait de vietnamiser notre regard sur cette guerre, pour mieux en dépasser les mythes et les récits dominants. C’est le fil conducteur de l’article de Quang Pham.

Quelle guerre mena l’État révolutionnaire du Sud, le COSVN, qui organisa l’insurrection du Front de Libération National, plus connu sous le nom de Vietcong ? C’est l’objet de l’entretien mené par Julien Lehoangan avec Antoine Lê, enseignant à l’Inalco, qui a consacré sa thèse à l’appareil révolutionnaire sudiste — une histoire paradoxalement en partie marginalisée dans le récit officiel de l’État vietnamien.

Le 30 avril 2015, Louis Raymond assistait à Saïgon aux commémorations du 40e anniversaire de la fin de la guerre. Un défilé de la victoire y était organisé, réservé à quelques dignitaires triés sur le volet — sans le peuple. De cette mise en scène, il tire une réflexion sur le lien entre l’armée et le peuple au Vietnam.

C’est bien souvent par la littérature que les Vietnamiens empruntent un chemin de traverse, pour contourner les impasses mémorielles. Deux articles de ce dossier s’y consacrent, autour d’ouvrages parus tout récemment.

Henri Marcel propose ainsi une recension du dernier roman de l’écrivaine franco-vietnamienne Thuân, B-52 ou Celle qui aimait Tolstoï. L’autrice y tisse un récit sur la violence et la douceur nées de la guerre, où la littérature affirme sa prééminence face au politique.

« La juste cause a gagné, le devoir d’humanité a gagné, mais le mal, la mort, la violence contre des humains ont aussi gagné. » Vétéran lui-même, Bảo Ninh livrait dans son roman iconique, Le Chagrin de la guerre, un récit crépusculaire du conflit vietnamien, tel qu’il fut vécu par les soldats de l’Armée populaire du (Nord) Vietnam. Thomas Riondet signe une recension du Violon de l’ennemi, son dernier ouvrage, dans lequel l’écrivain revient sur le traumatisme d’un pays à travers le parcours de femmes vietnamiennes dans la guerre. L’auteur évoque les nouveaux rapports entre sexes qui s’établissent dans les affres de la guerre et de la révolution. On y retrouve son regard tragique et profondément ambigu sur le sens même du conflit.

Enfin, ce dossier se conclut par des témoignages venus de la diaspora. Dans son article Le 30 avril vu d’exil, Henri Copin évoque cette date à travers le prisme des souvenirs personnels de celles et ceux qui, ce jour-là, ont été contraints de quitter le Vietnam.

Premier article de notre dossier :

Thuân : « Dans le Viêt Nam pur et dur de la guerre et de l’après-guerre » par Henri Marcel

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