Crédits: la Communauté Birmane de France (CBF). Twitter @BirmaneLa

En Birmanie, le 11 avril, un terrible bombardement de la junte faisait près de 170 morts, selon le journal The Irrawaddy. Deux ans après le coup d’État, la situation du pays est toujours plus dramatique. Des solutions diplomatiques et militaires existent néanmoins. Les Cahiers du Nem se sont entretenus avec Mme Nan Su Mon Aung, représentante en France du Gouvernement d’Unité Nationale (NUG), créé en avril 2021 en opposition à la junte.

En Birmanie, l’armée vient de dissoudre une quarantaine de partis politiques, dont la National League for Democracy (LND). Aung San Suu Kyi a été pour sa part condamnée à 33 ans de prison. Qu’est-ce que cela signifie en termes de situation politique, deux ans après le coup d’État ?

La situation politique est très tendue depuis le coup d’État du 1er février 2021. Depuis le début, il était clair que la dissolution des partis politiques d’opposition allait arriver un jour. La junte avait le projet de dissoudre la LND depuis très longtemps, notamment du fait de ses victoires aux élections générales de 2015 et 2020. La motivation de la junte est évidemment celle de garder le pouvoir. Min Aung Hlaing, qui est devenu le Président du SAC (State Administrative Council ou Conseil d’Administration de l’État), organe de gouvernement de la junte militaire, sait très bien qu’il ne peut pas conquérir le pouvoir autrement, qu’il ne peut pas gagner les élections. C’est aussi la raison pour laquelle Aung San Suu Kyi a été condamnée à une peine d’emprisonnement de 33 ans, autrement dit à vie sur des critères fabriqués de toutes pièces, et qu’ils persécutent depuis deux ans les membres de la LND.

C’est donc une lutte où il n’y a pas de compromis possible ?

La junte n’a aucune légitimité, et c’est le fondement de notre lutte contre le SAC. Les élections qui seront organisées par la junte seront une mascarade. Elles seront massivement rejetées par le peuple. Le 4 avril dernier, la Commission électorale de l’Union formée par la junte a ainsi été déclarée organisation terroriste par le NUG, qui reste néanmoins ouvert au compromis, si certaines préconditions sont satisfaites : l’armée doit se retirer de la vie politique du pays, les prisonniers politiques doivent être libérés et les militaires responsables des atrocités commises contre le peuple traduits en justice, à commencer par le général Min Aung Hlaing ; enfin, les parties prenantes devront adhérer au projet commun de démocratie fédérale inclusive.   

En termes militaires, quelle est la situation ? Est-ce que concrètement, les forces d’opposition, qui sont moins armées et moins équipées, peuvent gagner du terrain sur les 350 000 hommes de la Tatmadaw ?

La situation militaire de la résistance démocratique en Birmanie est forcément complexe, mais nous constatons actuellement des progrès significatifs. Il y a aujourd’hui plus de 60 000 hommes et femmes dans les Forces de Défense du Peuple (PDF), qui sont sous le contrôle du Gouvernement d’Unité Nationale, avec 300 bataillons de 200 à 500 hommes. En plus, il y a les groupes armés des différentes ethnies, comme les Karen, avec qui le NUG travaille en collaboration, notamment pour la coordination de l’action militaire sur le terrain. Enfin, il y a les Équipes de Défense du Peuple du NUG, appelés PaKhaPha  (People’s Defense Team ou PaKaPha), qui sont issues du peuple. Ces  personnels ont un statut différent de celui des PDF, mais ils ont reçu un entraînement militaire. Dans chacun des 250 cantons du Myanmar dans lesquels le NUG est implanté (sur un total de 330 cantons), il y a 1500 combattants, cela fait donc un total de 375 000 hommes et femmes supplémentaires.

Même s’il reste difficile de se procurer des armes, les PDF ont pu, en deux ans, passer d’armes artisanales à de véritables armes de guerre, et bénéficier d’une formation militaire, notamment grâce aux armées ethniques qui combattent la junte depuis des décennies. Mais les membres des PaKaPha ne sont pas totalement des soldats. Ce sont des gens du peuple qui ont reçu un entraînement militaire de base, afin de protéger les civils. Ils n’ont donc pas les mêmes équipements que les soldats. Il faudrait également ajouter les quelque 30 000 membres des Forces de Défenses Locales (LDF) qui ont un statut comparable mais autonome par rapport au NUG. L’enjeu majeur pour le NUG reste de pouvoir fédérer dans l’ensemble du pays des forces de résistance hétérogènes et aux intérêts parfois divergents.

Tract du compte officiel du ministère de la Défense du NUG @NUGMyanmar

Du côté de la junte, il y a peut-être plus de 300 000 soldats en théorie, mais en pratique, les analystes militaires estiment qu’il n’y a qu’environ 100 000 soldats qui sont opérationnels sur le terrain, auxquels s’ajoutent 70 000 supplétifs de la police et des milices locales pro junte appelées « Pyu Saw Htee » formées de vétérans de l’armée, d’extrémistes bouddhistes ultra-nationalistes, et de repris de justice. La junte fait face à de très grandes difficultés de recrutement. Par exemple, elle a récemment élevé l’âge de la retraite pour les soldats de l’armée et les policiers. Elle essaie aussi d’enrôler des civils de force, et a adopté une loi en début d’année pour pouvoir armer les civils qui lui sont fidèles.

Sur le terrain, la junte n’a pas le contrôle. Chaque jour, elle subit des pertes humaines et matérielles importantes, de quelques dizaines à une centaine de soldats.  Immédiatement après la promesse de Min Aung Hlaing d’anéantir la résistance, renouvelée le 27 mars, fête de l’armée, la junte a par exemple perdu le contrôle de Mei Khar Hta, plus grande base militaire terrestre sur la rivière Salouen,  à la frontière avec la Thaïlande. Dans le même temps, un convoi militaire de 30 véhicules, avec des engins blindés, a été détruit dans l’État Chin. Dans l’État Karen également, des combats sont en cours pour la prise de Shwe Kokko, une enclave où la junte parraine les Triades chinoises dans leurs activités criminelles de jeux, prostitution, escroqueries en ligne, et trafic d’humains. Dans les villes, les postes de police sont attaqués, notamment dans les régions de Magwe et de Sagaing.

Il y a aussi des combats aussi à Naypyidaw ?

Oui, mais il ne s’agit pas d’une action aussi ouverte que dans le reste du pays. Dans les villes, l’action et la représentation du NUG est clandestine. Les attaques sur les cibles de la junte sont donc menées avec des bombes, des drones ou sous forme de guérilla.

Le point fort de la junte est l’utilisation de l’aviation. Elle possède des avions de chasse et des hélicoptères de combat achetés à la Russie et à la Chine, et les utilise pour tuer des civils. Dans la mesure où, sur la terre, les troupes du SAC ne peuvent plus avancer contre les forces de défense du peuple, elles utilisent donc les moyens aériens.

Vous mentionnez le soutien en termes d’armement de la Russie et de la Chine. Quels sont les soutiens internationaux de l’armée et du SAC ? Et comment se manifeste ce soutien ?

Le conflit au Myanmar n’est pas seulement interne au pays, mais implique des enjeux internationaux. Même si la junte est théoriquement isolée sur le plan international, elle bénéficie encore du soutien de la Russie et de la Chine, entre autres. La Russie fournit une aide militaire importante : elle vend des armes, forme les militaires et depuis la fin de l’année 2022, elle a lancé un projet de centrale nucléaire en partenariat avec la junte. Cela devrait être un sujet de préoccupation majeur pour la communauté internationale : la Russie fait ce qu’elle veut en Birmanie, quels que soient les dangers encourus.

La Chine et l’Inde sont également des acteurs importants dans la région. Ces pays frontaliers, qui ont des intérêts économiques et géostratégiques en Birmanie, doivent comprendre que seul un gouvernement démocratique pourra apporter la stabilité dont ils ont besoin.

Vladimir Poutine fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale (International Criminal Court ou CPI). Nous souhaiterions que Min Aung Hlaing fasse l’objet d’un même mandat d’arrêt, car ses agissements sont comparables à ceux de Poutine. Il doit en être tenu responsable.

Qu’en est-il des entreprises d’autres pays qui peuvent braver les sanctions pour commercer avec la junte ?

Il y a eu des entreprises privées israéliennes, australiennes et européennes qui ont bravé les sanctions, même s’ils ne commercent pas directement avec la junte. Mais les preuves et les liens sont difficiles à établir. Le NUG possède son propre service de renseignement économique dédié. Il y a également une organisation privée qui travaille sur ce sujet en particulier, qui s’appelle Justice for Myanmar. Depuis deux ans, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Union européenne, la Nouvelle-Zélande, et plus récemment l’Australie ont imposé diverses sanctions. Pour l’instant, celles-ci se concentrent sur les partenaires du SAC. Il faut des preuves, les accusations doivent être bien documentées. Cela demande du temps.

Quelles sont les attentes du NUG quant à l’ASEAN, où les intérêts sont pour le moins divergents et où certains pays continuent de soutenir discrètement la junte ? Je pense par exemple aux liens du conglomérat vietnamien Viettel avec Mytel.

La priorité du NUG est de faire en sorte que l’ASEAN communique publiquement avec les forces démocratiques pour trouver une solution  afin de résoudre la crise au Myanmar. A présent, la présidence indonésienne de l’ASEAN semble vouloir faire évoluer les choses.

De plus, le NUG demande l’aide humanitaire de l’ASEAN, pour soulager les souffrances du peuple birman. Il faut bien comprendre que toute aide délivrée à travers la junte sera détournée et instrumentalisée à des fins politiques. L’ASEAN doit aussi exclure les représentants de la junte des institutions régionales, car la junte n’est pas le Myanmar. Le SAC ne représente pas le pays.

L’ASEAN est divisée sur la question, entre la partie continentale de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Laos, Vietnam, Cambodge), où certains pays ont des intérêts politiques et économiques, et la partie insulaire (Malaisie, Indonésie) qui échange davantage avec le NUG. Cependant, l’ASEAN ne peut pas résoudre cette crise toute seule, du fait de son principe de non-ingérence et de son fonctionnement au consensus. C’est pourquoi nous appelons à une coopération internationale renforcée avec des pays extérieurs à l’ASEAN, avec les États-Unis, l’Union européenne et l’Australie, dans le cadre de ce qu’on appellerait « l’ASEAN plus ».

Quelles sont vos attentes quant aux puissances occidentales ? Il y a eu des sanctions, qui certes n’ont pas la portée de ce que nous avons vu pour la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine, et des grandes entreprises qui se sont retirées, comme Total.

Les puissances occidentales pourraient apporter davantage d’aides concrètes et ne pas faire seulement des déclarations. Certains pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, reconnaissent le NUG et communiquent à haut niveau avec nous. Nous voulons que ce soit le cas pour davantage de pays. Nous espérons pouvoir organiser plus de rencontres bilatérales pour trouver des solutions à la crise, et discuter du soutien à la résistance démocratique. La junte doit par contre rester exclue des instances internationales.

Le NUG demande aussi une aide humanitaire directe, ainsi que des financements et un soutien technique et logistique. Il y a aussi la question des armes, pour pouvoir protéger la population, notamment des attaques aériennes contre lesquelles nous sommes démunis.

En outre, nous demandons un embargo sur les carburants aviation car la junte les utilise pour  bombarder la population. Enfin, je le répète, mais une action en justice internationale pour mettre fin à l’impunité des criminels de guerre birmans est nécessaire.

Quelle est la vision du NUG pour résoudre la crise des Rohingyas, après notamment les récentes et terribles images de réfugiés arrivés en Indonésie après des semaines de bateau, qui rappellent celles des Boat-People vietnamiens dans les années 1970 et 1980 ? Soutenez-vous le plan de rapatriement depuis le Bangladesh ?

Sur la question des Rohingyas, le NUG a déclaré publiquement le 24 août 2021, soit quelques mois après sa création en avril 2021, que le rapatriement volontaire et sûr des Rohingyas dans la dignité est sa priorité absolue. Nous avons exprimé notre volonté de revoir la loi sur la citoyenneté de 1982 pour s’attaquer aux discriminations envers les Rohingyas. Les Rohingyas seront également autorisés à revenir au Myanmar lorsque le NUG aura pris le contrôle du pouvoir. Mais maintenant, nous sommes en pleine révolution, et notre priorité ne peut être que de lutter contre le SAC. Ce n’est pas possible de faire revenir les Rohingyas tant que l’armée est au pouvoir, d’autant qu’elle ne les reconnaît pas en tant qu’ethnie birmane, et les considère toujours en raison de son idéologie raciste comme des Bengalis.

Nous soutenons le principe d’un plan de rapatriement des Rohingyas, mais cela dépend de qui le met en œuvre. Le NUG ne soutient absolument pas un plan de rapatriement de la junte, parce que l’armée est la seule responsable des massacres commis envers les Rohingyas depuis des années, et n’a donc aucune crédibilité. Les Rohingyas l’ont bien compris, et nous souhaitons que l’ONU comprenne également cette situation. Lorsque la révolution sera achevée, le NUG proposera un plan crédible de rapatriement, pour une solution durable et pacifique. Les rapatriements de quelques milliers de personnes parmi un million de réfugiés Rohingyas qui se font en ce moment, en partie sous pression de la Chine et pour donner des gages à la Cour de Justice Internationale devant laquelle la junte est assignée pour crime de génocide, ne nous semblent pas être les bons, car les gens sont envoyés dans des endroits différents de là où ils avaient vécu. Nous sommes également conscients qu’un travail de fond sera nécessaire auprès de la population birmane, baignée pendant des décennies de dictature dans des discours de haine de l’autre.

En ce qui concerne le traitement de la presse de la situation en Birmanie, que peut-il être fait ? Il y a la presse internationale d’un côté, et la presse française. Côté français, je pense au travail de Juliette Verlin, de Guillaume Pajot ou encore à la récente série de reportages de Jérémy André dans Le Point. Mais l’Asie du Sud-est en général est relativement absente de la presse française. Comment pouvez-vous aider l’information des Français sur la crise birmane ?

La situation en Birmanie n’est pas très visible dans les médias français pour des raisons d’éloignement géographique. Il n’y a que des articles de temps en temps, à l’occasion de l’anniversaire du coup d’État ou lorsque des personnalités politiques viennent à Paris. Mais il est important que la population française soit informée, car comme je l’ai dit, la crise birmane est une crise globale.

Le Bureau du NUG en France a mis en place une newsletter en français et des comptes sur les réseaux sociaux pour informer les gens sur la situation dans le pays. Nous sommes très reconnaissants envers les journalistes qui font déjà ce travail, mais nous pensons qu’il serait utile qu’il y ait des reportages plus réguliers, notamment de la part des chaînes de télévision françaises. Il est important également que les agences de presse ne relaient pas la propagande du régime militaire, qui s’emploie à donner une illusion de normalité et de stabilité, et qualifie de terrorisme toute forme d’opposition à la dictature. Nous avons ainsi pu observer dans les médias français de nombreuses campagnes promotionnelles pour le tourisme en Birmanie, alors même que la diplomatie française déconseille formellement et pour des raisons évidentes de voyager dans l’ensemble du territoire birman.

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