Hong Kong est en train de se transformer en un champ de bataille. On y fait désormais usage d’armes à balles réelles et le couvre-feu, si l’on en croit le très officiel Global Times (1),  pourrait être déclaré ce week-end, les 16 et 17 novembre 2019.

La situation sociale de la France est elle aussi préoccupante, mais personne, dans notre pays, ne semble prendre la mesure de ce qu’il s’y joue réellement. Les médias français ont montré des images et ont proposé une couverture généralement bienveillante du mouvement hongkongais depuis l’éclatement de la révolte en juin dernier, mais ils ont fini par regarder ailleurs.

Pourquoi ?

Car, après les Gilets Jaunes et en l’état de notre pays, nous ne sommes plus habilités à donner des leçons de morale à qui que ce soit. Notre vocation universaliste est mise à mal par l’hypocrisie de nos positions, de nos ventes d’armes, de notre aveuglement, et nous ne nous sommes pas encore rendus compte que nous étions devenus inaudibles lorsque nous voulons parler de droits de l’homme.

Car la France a besoin de la Chine comme allié par défaut au moins sur les plans commerciaux et climatiques, face à l’imprévisibilité de Donald Trump. Quitte à prendre le risque d’être un jour mangée par elle et sa stratégie d’influence agressive.

Car le monde est trop vaste et chaque jour fournit son lot d’événements. Bien sûr, le Chili, le Liban, l’Algérie ou encore l’Irak méritent également notre attention, mais Hong-Kong ne représente pas seulement une révolte sociale contre le néo-libéralisme.Dans les prochains jours, ce n’est ni plus ni moins que la nature des régimes politiques en Asie orientale dans les 20 ou 30 prochaines années qui est susceptible de se décider.

Soit Pékin réprime sévèrement le mouvement, en faisant appel à des moyens militaires. Cela conforterait alors les régimes actuels en Chine, au Vietnam, au Cambodge, au Laos, à Singapour et en Thaïlande dans ce qu’ils sont déjà : un autoritarisme capitaliste qui a pour seule aspiration morale les « valeurs asiatiques », c’est-à-dire une digestion très politique du Confucianisme, où l’idée de justice sociale a disparu, où le nationalisme le plus étroit trouve un débouché naturel.

Cela confirmerait que la démocratie en Asie n’a été qu’une parenthèse, entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Les espoirs des Thaïlandais, certes mis à mal par les nombreux épisodes de guerre civile, des Birmans, des Cambodgiens, voire des Vietnamiens qui espéraient un pendant politique à l’ouverture économique, seraient définitivement douchés.

Soit la police hongkongaise, à laquelle on a lâché la bride, aidée par les hommes de main de la mafia, parvient à étouffer le mouvement, à raison d’arrestations ciblées et d’intimidations toujours plus musclées. Cette défaite silencieuse, qui n’intéresserait qu’à demi des médias internationaux trop attirés par l’odeur du sang, serait un écho tragique à toutes les répressions des mouvements sociaux de ces dernières années, et ce partout dans le monde.
Le gaz lacrymogène disperse les foules et ne laisse plus dans les rues que quelques éléments récalcitrants et obstinés, qu’une police surarmée n’a plus qu’à cueillir comme un fruit mûr dans un arbre.

Soit la capacité de Hong Kong à résister au Parti Communiste Chinois devient un exemple pour tous les peuples voisins, et le cri de rage de cette ville est entendu. Hong Kong montrerait ainsi au monde qu’au-delà même de l’injustice d’un système économique, il est possible de faire front devant l’avancée de la surveillance de masse et de l’oppression.

Est-ce la démocratie libérale que Hong Kong désire ? Certains manifestants y appellent clairement : c’est une des nombreuses revendications qui ont émergé en parallèle de la demande de retrait de la loi d’extradition, mais force est de constater que ce n’est plus, au XXIème siècle, une fin en soi. La démocratie libérale est imparfaite. Elle permet l’ascension d’hommes politiques dont l’intégrité est discutable. Elle favorise les riches contre les pauvres. C’est un système politique bourgeois et son idéal peut être dévoyé.

Néanmoins, il y aurait quelque chose de fondateur, dans un siècle qui s’annonce cauchemardesque, à constater que le cours de l’histoire n’est finalement pas immuable. A Hong Kong, on meurt pour des idées en 2019. Ce qu’il s’y passe est un exemple qu’il nous faut regarder avec la plus grande attention. Et peut-être qu’à l’avenir, en entendant le bruit des bottes, nous aurons à notre tour le réflexe de sortir notre parapluie et de le porter fièrement.

Rassemblement pour les 5 demandes.

(1) L’annonce du Global Times sur la mise en place d’un couvre feu a été retirée et les autorités hongkongaises ont depuis écarté officiellement la possibilité d’une telle mesure. https://news.rthk.hk/rthk/en/component/k2/1492180-20191114.htm?fbclid=IwAR3J2CyqzTt81lhQlDNmFA1_LFwlEfGflPtHwSrmy-UiqCkOoy0FhDAGaCw 

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Louis Raymond est journaliste. Il s'intéresse aux questions sociales, politiques et historiques en Asie du Sud-Est et en Europe. Il est l'un des animateurs de la revue Les Cahiers du Nem et le secrétaire du bureau de l'association qui l'édite.

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