Home Littérature Qiu Xiaolong : auteur de romans policiers sur la Chine communiste

Qiu Xiaolong : auteur de romans policiers sur la Chine communiste

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            La littérature policière contemporaine est un genre qui aime, au travers des enquêtes, lever le voile sur un passé qui dérange et révéler la part d’ombre de nos sociétés. Que l’on pense à la vague des romans scandinaves qui égratignent l’image d’harmonie des sociétés où ils se déroulent (Millénium, de Stieg Larsson), ou pointent du doigt des affaires sordides d’un passé plus ou moins révolu (Les enquêtes du bureau V, de Jussi Adler-Olsen). Le genre existe en Asie, même s’il est moins connu du public occidental. La Chine ne fait pas exception à travers l’œuvre magistrale et non achevée de Qiu Xialong : 11 romans, 3 recueils de nouvelles, publiés depuis 20 ans aux éditions Liana Lévi. Coup de projecteur sur un auteur et une œuvre unique, à la fois série policière, témoignage historique, ode à la culture chinoise et critique féroce du régime.

Un auteur marqué par l’Histoire

La biographie de Qiu Xialong est essentielle pour comprendre la nature de son travail littéraire, ses thèmes fétiches et la construction de son héros : l’inspecteur Chen. Il est né en 1953 à Shanghai,  ville qui sert de cadre à ses romans. C’est une cité marquée par la colonisation occidentale, un port actif, une vitrine du capitalisme que Mao n’a jamais aimé et traitait de « pourrissoir de la révolution ». Son père, ancien employé d’une société commerciale, est devenu petit entrepreneur d’une usine de parfum au début des années 1950 avant que son usine soit nationalisée et qu’il devienne ouvrier d’Etat. Quand se déchaîne la révolution culturelle en 1966, Qiu Xialong a 13 ans. Pour les gardes rouges, sa famille est suspecte du fait du passé de « capitaliste » du père. Très vite en effet, ceux qui furent commerçants ou dirigeants d’entreprises sont qualifiés de contre-révolutionnaires. La violence des gardes rouges s’abat sur la famille dont la maison est saccagée. Son père est passé à tabac au point d’être gravement blessé à l’œil et sa mère sombre dans la dépression. Qiu Xialong est quant à lui rééduqué mais échappe pour raison de santé à un exil dans la campagne.

C’est pendant ces années de chaos qu’il va se prendre de passion pour l’anglais. Il rejoint l’université normale de Chine Orientale et décroche en 1981 sa maîtrise en littérature anglaise, puis devient en 1986 professeur. Il obtient deux ans plus tard une bourse pour partir étudier à l’université de Saint Louis et mener ses recherches sur T.S. Eliot. Il est donc à l’étranger quand se déclenchent le printemps de Pékin et la répression du mouvement qui s’en suit. Comprenant que tout retour en Chine serait dangereux, il fait le choix de s’installer aux États-Unis avec sa famille. Il finit ses études en soutenant son doctorat en 1995. Profitant d’un assouplissement du régime politique, il retourne en Chine et observe les transformations profondes du pays : capitalisme, néo-socialiste, modernisation de Shanghai. De là germe l’idée d’écrire en anglais des romans policiers.

source : wikipedia

Un univers à son image

Son héros l’inspecteur Chen Cao ressemble en de nombreux points à son créateur. C’est un poète fin connaisseur de la littérature classique chinoise capable de citer les grands poètes de l’ère Tang ou Song. Auteur reconnu par le Parti communiste, il n’en conserve pas moins un œil critique et cultive aussi bien des amitiés avec des Chinois de l’Outre Mer qu’avec des caciques du Parti communiste. Un personnage atypique dans l’univers de la Chine contemporaine.

L’œuvre de Qiu Xialong offre aux lecteurs quatre récits au sein de chaque roman. Ce sont d’abord d’excellentes intrigues policières modernes s’inspirant à la fois des romans anglo-saxons et des héros traditionnels chinois comme le juge Di Renjie. Tueurs en série, fonctionnaires corrompus, crimes passionnels, vengeance post-révolution culturelle, il brosse des intrigues toujours surprenantes. Les connaisseurs du genre retrouveront ici ou là l’influence des grands maîtres du genre.

Ce sont ensuite des enquêtes servant de toile de fond à une représentation de l’évolution sociale, historique et culturelle de la Chine depuis les réformes de Deng Xiaoping des années 1980. Lire les romans dans l’ordre chronologique permet un saisissant voyage dans le temps. Chaque opus fonctionne comme un petit film sur les changements du pays où transparaissent à la fois les formidables avancées (modernisation des villes, enrichissement, etc.) et les problèmes de cette modernisation accélérée (corruption, inégalités de logement…). Ces enquêtes permettent d’ailleurs à chaque fois d’évoquer les démons de la Chine : le souvenir de la révolution culturelle, les princes rouges, la pollution, la lutte des clans, la politique de l’enfant unique. Le 9ème tome, par exemple, s’inspire clairement de l’affaire Bo Xilai, l’ancien maire de Chongqing, prétendant au pouvoir central et concurrent de Xi Jinping.

Son travail est en plus une ode à la ville de Shanghai. La métropole est en effet un personnage à part entière dont l’auteur nous fait sentir la vie, les changements, les doutes et les crises. Des petites maisons « hutong » aux immeubles collectifs en passant par les nouveaux quartiers, les mots dessinent la géographie d’une métropole tentaculaire. Il témoigne également d’un très grand amour pour la cuisine chinoise. Dans chaque roman, l’auteur se plaît à nous faire découvrir l’incroyable diversité de la cuisine de Chine du Sud, l’importance quasi-religieuse de la gastronomie. L’inspecteur et ses amis ne se privent jamais de partager des repas et l’écriture poétique de Qiu Xiaolong nous permet d’en sentir les odeurs.

Une force est que la série peut être commencée à partir de n’importe quel roman. Les personnages récurrents qui sont réintroduits à chaque fois, ce qui permet de construire un schéma de lecture. Il faut aussi saluer le travail des traducteurs qui réussissent à retranscrire la richesse et la sonorité de l’auteur. Ainsi, Qiu Xiaolong construit-il une œuvre policière à part, avec de solides intrigues qui sont autant de prétextes à une plongée dans l’histoire récente de la Chine.

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