Plonger dans l’univers de la cinéaste japonaise Naomie Kawase est une proposition des plus enthousiasmantes. Elle l’est d’autant plus lorque celle-ci émanne d’une documentariste qui tient le plus grand respect au travail humaniste de cette immense auteure. Laetitia Mikles poursuit une veine introspective depuis plusieurs années et ses recherches antécédantes font grandement écho au naturalisme tracé par la native de Nara. Décue de n’avoir pu garder d’éléments tangibles d’une précédante rencontre suite à du matériel défectueux, la francaise garde un souvenir ému de l’entrevue. « Rien ne s’efface » est donc son hommage instinctif, un témoignage discret mais vivant.
Tourné en 2008, ce film tente une approche modeste de la personnalité nipone. Il faut bien cela pour percer le mystère d’une femme qui ne cesse depuis ses débuts de sonder l’évanescance de la vie et la fragilité des etres. Enfant timide issue d’une famille dispersée, elle comprend très tot le pouvoir du cinéma. Ne sachant que faire de son destin, elle se voit alors offrir une petite caméra en guise de présent familial. Ce sont la les prémices d’une affirmation au monde que sa filmographie va confirmer d’oeuvres en œuvres. Sa singularité s’écrit dans ce qu’elle cherche à caractériser une des plus grandes peur de l’humanité : la mort. Elevée dès son plus jeune age par ses grands-parents, elle perd à l’adolescence son grand-père et en ressent un effroyable sentiment de vide. Paradoxalement, plutot que de s’effondrer, cette absence est synonyme de révélation. Ce qu’on ne peut combler, nous avons la capacité quasi divine de le transcander par l’organe le plus puissant que nous possédions. La mémoire construit des souvenirs que le temps peut certes obstruer, pour autant l’affect qui nous constitue est bien trop puissant pour se soustraire à notre psyché. Et quoi de plus direct pour l’entretenir que le rapport à l’image ? Pixélisée, la photo est un témoin parcimonieux dont se sert avec précaution la réalisatrice de l’archipel. Elle le supplée en usant des moyens techniques que lui laisse à disposition l’art de filmer.
Construit comme un échange philantropique, le documentaire alterne prise de vue réel sur la cinéaste et son environement et images d’archives constitutifs de son emprise sur le monde. Complétés d’extraits de quelques longs-métrages, il illustre à merveille le foisonement créatif d’une artiste originale. N’hésitant pas à valoriser le hors-champ et des cadres naturels contemplatifs, le procédé répond parfaitement au dispositif formel employé par son hote. Les connaisseurs de la dame en seront naturellement ravis, les autres invités pourront se faire une idée assez précise de sa méticulosité. En ressort un sentiment de connivence précieux que les échanges entre les deux femmes accentuent au fil de la durée. Naomie Kawase ne cache pas ses doutes anciens et actuels, elle avoue avoir pensée abondonnée sa carrière suite à sa Caméra D’Or glanée au Festival de Cannes pour « Shara ». Première lauréate japonaise, elle en tirait une grande fierté mais également des craintes quand à la suite à donner. Période douleureuse pendant laquelle le père qu’elle n’avait jamais connue lui fit enfin le bonheur de réaparaitre dans sa vie pour aussi disparaître dans les limbes de sa conscience. Moment qu’elle confesse volontairement troublant, entre le désir de capturer cet instant du réel pour en travailler sa vérité et la nécéssité de le vivre instantanément pour ne pas le fausser. Car voilà bien la matrice essentielle de son cinéma : fabriquer une vérité momentanée à l’aune d’un médium fictionnel. Ou comment prétendre raconter les arcanes de la compléxité humaine en dématérialisant la pensée vivante en pellicule.
D’aucuns verraient dans cette démarche un utopisme simpliste qu’il faut ici absolument démentir. Lucide, la pacifiste est tout le contraire d’un charactère lunaire et sait mieux que quiconque qu’une séparation s’impose entre son travail artistique et son quotidien privé. Elle n’oublie jamais que le tournage est un rempart aimable contre l’austérité de l’existence. Mais elle en conjure à notre intellect de toujours croire que la formidable mobilisation émancipatrice du 7ème art est un geste essentiel à notre survie. Grace soit rendue à Laetitia Mikles de nous avoir accopagnée dans cet émouvant et subtil voyage de la réflexion kawsasienne. Il est plus que jamais urgent de laisser la parole à de tels créateurs. Le responsable de ces quelques lignes en ressort plus admiratif que jamais et se jure de faire tout ce qui est en son pouvoir pour convertir les trop nombreux réfractaires inconséquents.