Home Cinéma TENZO : nourrit-on aussi les morts ?

TENZO : nourrit-on aussi les morts ?

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Cela s’ouvre comme un documentaire classique sur le zen japonais : une file ordonnée de moines foulant la neige, de retour de mendier une obole de nourriture, les vénérables menuiseries aériennes d’un monastère de montagne, la discipline monastique, inflexible, les longues séances de méditation au dojo, la solennité des rituels. Des images belles, mais combien de fois vues et revues, pour le plaisir du spectateur épris d’exotisme.

Et, quelques secondes plus tard, nous sommes pris à contre-pied : un bonze muni d’une oreillette téléphone au volant d’une berline et retrouve sa femme et son fils dans l’opulent temple familial dont son père lui a transmis la charge. Au Japon en effet, les prêtres bouddhistes ne sont pas tenus au célibat, et la propriété des temples est souvent héréditaire. Il s’appelle Chiken et est le cousin du réalisateur. C’est un moine à qui la vie a donné la part belle. Le film introduit ensuit son pendant, son alter ego, qui s’appelle Ryûgyô. Il a perdu son temple, emporté par la vague qui a frappé la région de Fukushima en 2011. Il gagne sa croûte en travaillant comme ouvrier du bâtiment, écoute du rap à plein tubes dans son pick-up et participe à un réseau de moines apportant leur soutien par téléphone aux victimes de la catastrophe. Il ont fait leur apprentissage ensemble au temple Ehei-ji, la maison-mère de l’école Sōtō du zen japonais. Les deux hommes sont amis.

Comment montrer le zen, comment parler de la réalité d’un courant spirituel qui s’est, dès ses débuts en Chine, illustré par la défiance à l’égard du langage et de la représentation, jusqu’à cultiver une image farouchement iconoclaste ? Paradoxalement, le zen infusa profondément l’esthétique japonaise, dans un grand nombre de domaines de la culture des élites :  cérémonie du thé, art des jardins ou encore peinture , où un très riche courant se revendique directement du zen.

Le jeune réalisateur Katsuya Tomiya choisit d’aborder la discipline méditative la plus exigeante par le biais des actions les plus quotidiennes : cuisiner et manger. Si l’absolu est selon une formule indienne « ce qui ne mange ni n’est mangé », les êtres plongés dans le saṃsāra sont indissociablement reliés par le fait de s’entre-dévorer. Dès lors, au sein du zen, la cuisine, le rituel du repas sont des activités centrales, réceptacles de la discipline et de la doctrine.

Chiken, moine cuisinier, anime des ateliers de cuisine bouddhique pour ses ouailles. Gestes mesurés et précis, vaisselle sobre et élégante, concentration ; un instant durant, on croit regarder un documentaire culinaire lorsque l’image enchaîne sur Ryûgyô, dans sa chambre en préfabriqué, adressant des vœux de délivrance pour tous les êtres vivants avant d’entamer un plat préparé dans une barquette en plastique. Et pourtant, loin de vouloir jouer sur une opposition frontale, Katsuya réussit au contraire à donner à voir comment, sous la surface, c’est la même profondeur, la même qualité de présence, et la même fragilité, reconnue et assumée, qui animent les deux personnages.

En un temps très court (à peine plus d’une heure), il livre une œuvre dense, profonde, en recourant à  plusieurs genres cinématographiques : interviews, travelogue, documentaire, animation, extraits de films de famille. Il y a des moments particulièrement réussis, comme les entretiens de Chiken avec son maître, une nonne octogénaire qui par sa présence apporte encore au film un supplément d’âme. Ou encore cette scène où l’on aperçoit Ryûguô, dans ce qui reste d’un cimetière, s’adressant à haute voix aux tombes éventrées des défunts de Fukushima.

Pour le spectateur qui s’intéresse au bouddhisme au Japon, à la vie religieuse, au-delà des doctrines et des clichés, et à ses liens avec la société japonaise, ce petit film brillant est à ne pas manquer.

Tenzo est disponible en VOD sur Vimeo : https://vimeo.com/ondemand/tenzo

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