Le manwha a été introduit dans l’hexagone à la faveur de l’engouement qui s’est manifesté pour le manga dans le courant des années 90. Angel Dick fera ainsi son apparition dans nos librairies en 1997. L’année suivante c’est Shoma et Rainbow qui seront édités chez Duck Comics.
La plupart des auteurs coréens contemporains ont été fortement influencés par le travail de leurs homologues nippons et ont intégré les codes du manga – certains allant même jusqu’à s’expatrier au Japon et publier leur travail dans les magazines de prépublication japonais1. Ainsi, outre leur origine asiatique, mangas et manwhas sont étroitement liés et présentent de telles similarités qu’ils sont généralement appréhendés indistinctement en France ; le manwha étant souvent considéré comme un manga dessiné par un coréen.
Des maisons d’édition ont tenté de promouvoir l’identité du manwha au travers de labels spécifiques, on pensera notamment à SeeBD, Casterman ou Soleil, malheureusement ces initiatives firent long feu. Quelques éditeurs ont repris le flambeau et intégré dans leur catalogue des titres en provenance du Pays du matin calme. Ces œuvres, amalgamées dans le flot de mangas qui inondent régulièrement nos étals, demeurent cependant très minoritaires et trop souvent confidentielles2. Pourtant, certaines bandes dessinées d’origine coréenne ont su s’imposer en France et y apparaissent aujourd’hui comme des œuvres majeures. On pensera spécialement au Nouvel Angyo Onshi, Sun Ken Rock ou Yureka.
Warlord compte assurément parmi ces séries qui méritent la reconnaissance a fortiori qu’elle s’incrit dans un genre qui a le vent en poupe, la dark fantasy. Elle marque également le grand retour de Kim Byung-jin (à qui on doit notamment Chonchu et Jackals) qui signe là une nouvelle collaboration avec Kim Sung-jae au scénario – les deux hommes ayant déjà collaboré sur Chonchu.
A l’occasion de la sortie du septième tome chez Ki-oon, retour sur cette alternative à Berserk et autre Ubel Blatt made in Korea.
L’armée de la dernière chance
La trame de Warlord apparaît a priori des plus classiques. Dans un monde médiéval en proie à des hordes de démons, les armées humaines sont en déroute et la population se réfugie dans des camps en espérant y trouver un peu de répit.
L’Empereur Shamarkal, souverain de Kartan, entreprend d’unifier les forces restantes dans une armée de la dernière chance afin de repousser ces envahisseurs aux ordres de créatures supérieures qu’on appelle les Lords. Il envoie sa fille Arasol à la cité d’Arkanzel afin qu’elle y engage le roi-mercenaire Bayren et ses guerriers, réputés être de redoutables combattants. Mais une fois sur place, Arasol y rencontre Maruhan, le fils de Bayren, qui lui apprend que son père est mort mais également qu’il avait déjà été mandaté quelques temps auparavant par Shamarkal pour mener un raid à l’antre des démons. Le jeune guerrier entend bien obtenir des réponses sur la mort de son père et assouvir sa vengeance. C’est ainsi qu’il accepte de suivre Arasol et d’escorter Anna, une mystérieuse fillette qui avait accompagné Bayren et connait l’entrée du monde des ténèbres. S’engage alors un périple durant lequel le jeune homme fier et fougueux prendra très vite conscience de ses faiblesses et de son inexpérience au contact des autres guerriers fédérés par l’Empereur.
Jusque-là rien de bien extraordinaire et on ne ressort pas bouleversé de la lecture du premier tome. Et pourtant …
Complots et passés troubles
L’intrigue s’enrichit au fil des volumes et l’intérêt vient crescendo. La trame prend une dimension politique avec l’entrée en scène du Shogun (faudrait-il y voir une allusion au voisin nippon ?), souverain voisin de Kartan qui convoite l’empire de Shamarkal. Celui-ci entend bien acquérir la légitimité suffisante à revendiquer son territoire grâce à ses faits d’arme. Ainsi, dès le départ, les forces humaines sont divisées et ne luttent pas de concert. Par ailleurs, de nouvelles créatures font leur apparition, plus puissantes que les Lords, qui soulèvent la question de ce qui se cache réellement derrière l’antre des démons. Mais surtout, la grande force de Warlord est de proposer une galerie de personnages extrêmement riche. La lutte contre les démons n’est finalement qu’un prétexte pour mettre en scène un large éventail de guerriers hauts en couleur et au passé trouble. On se surprend à être plus curieux de leurs origines et des liens qui les unissent que de savoir s’ils vont finalement parvenir à vaincre leur ennemi commun. Mais si cette variété de personnages charismatiques fait la force de la série, elle en constitue paradoxalement une faiblesse. On peine un peu à s’y retrouver face à toutes ces nouvelles têtes et les auteurs ne nous ont pour l’instant dressé qu’une première esquisse de chacun, soulevant beaucoup de questions mais également beaucoup de frustrations. On regrettera peut être un manque de flashbacks ou de chapitres consacrés à tel ou tel héros de manière à faire avancer un peu le propos. Ou sûrement ceux-ci auraient pu apparaître de manière plus progressive. La narration apparaît un peu précipitée sur ce point. En toute hypothèse, cette profusion de héros stylisés nuit à Maruhan qui semble en comparaison bien fade. C’est une mule qui ne fonctionne qu’à l’instinct, incapable de réfléchir ou d’écouter les autres et un véritable boulet pour ses compagnons. On est plus près du héros de shonen en quête initiatique que du guerrier ténébreux et expérimenté que l’on trouve généralement dans les productions du genre. Et force est de constater qu’au bout de 7 tomes, son éveil tarde à venir…
Combats épiques et geysers d’hémoglobine
Mais si l’intrigue se densifie sensiblement au fil des tomes, force est d’admettre que l’ensemble demeure très classique. Et ce n’est pas une narration brouillonne qui viendra améliorer les choses. Disons les choses clairement, Warlord ne brille pas par sa profondeur scénaristique mais plutôt par l’action proposée. L’amateur d’hémoglobine y trouvera son compte : çà découpe, transperce, éventre à tout va. Sur ce point la série présente un avantage de taille : le dessin de Kim Byung-jin. L’artiste donne la pleine mesure de son talent avec un dessin soigné, précis et dynamique. Les scènes de combat sont magistralement orchestrées et particulièrement immersives, la souffrance des combattants est palpable. Ce qui est d’ailleurs du goût de l’auteur qui, un brin sadique, déclarait dans une interview publiée sur le site du magazine Bodoi en octobre 2013 : « Ce que j’adore par-dessus tout, ce sont les scènes de combats les plus sanglantes et les plus spectaculaires possible. Plus le héros souffre et saigne, mieux c’est ! »3. Et autant dire que dans Warlord il joint l’acte à la parole tant ses personnages sont maltraités. Le tout prend place dans un univers sombre et glauque à souhait qui renforce l’ambiance désespérée du récit.
A la fin, Warlord ce sont des personnages stylisés qui ont pris part à une guerre durant laquelle ils tailladent du monstre dans une ambiance typique de Dark Fantasy. C’est rythmé, efficace en dépit de quelques lacunes narratives et on passe dans l’ensemble un bon moment. On pourra y voir une catharsis, ou à tout le moins un défouloir après une rude journée de travail. Quant aux faiblesses scénaristiques, ces sept premiers tomes regorgent de potentialité et nul doute que la lutte contre les démons prendra une toute autre dimension dans les volumes à venir. Stay tuned.
Remerciements à Olivier Fallaix pour sa relecture et ses précieux conseils
1Le Nouvel Angyo Onshi de Yang Kyung-il et Youn In-wan a par exemple été prépublié dans le Sunday GX, Jackals dans le Young Gangan de Square Enix.
2 Pour un panorama des séries coréennes éditées en France, on renverra à l’excellent blog Manwha France : http://manhwafrance.wordpress.com/
3 L’interview réalisée par Sébastien Kimbergt est disponible sur le site de Bodoi : http://www.bodoi.info/kim-byung-jin-seigneur-de-guerre-coreen/