Sur la côte Sud-Est du Vietnam s’étend la Baie de Cam Ranh. Son port, aménagé par les Français au XIXè siècle, occupé par les Japonais pendant la seconde guerre mondial a été au centre des convoitises tout au long du XXè et au début du XXIè siècle. Situé dans un estuaire de 3 kilomètres de large, profond de 20 mètres, pouvant accueillir des navires de plus de 100 000 tonnes, il est distant de quelques kilomètres seulement de la Mer de Chine du Sud. Emplacement stratégique, il est situé près de cette voie de navigation clé pour l’Asie de l’Est et des ses archipels riches en pétroles que sont les Spratly et les Paracels. Les différentes occupations du lieu depuis les années 1960 résume l’histoire étonnante du Vietnam coincé entre les impérialismes de tout bord.
Deux clichés illustrent le rôle de Cam Ranh pendant la guerre du Vietnam. Un rôle double. Base aérienne majeure d’abord, elle accueille une escadre de combat le 12th Tactical Fighter Wing et une escadre de transport aérien 483d Tactical Airlift Wing. Un port important, ensuite, pour le soutien logistique, l’acheminent des approvisionnements mais aussi le positionnement des patrouilles côtières et de reconnaissance navale. La base fonctionne à plein régime jusqu’au départ des Etats-Unis et sa prise par les communistes en 1975.
La période soviétique s’ouvre alors dès 1979. La flotte soviétique du Pacifique s’y installe pour une durée prévue de 25 ans (23 ans en réalité car les russes évacueront la base en 2002). La base a joué un double rôle pour les russes. D’abord elle leur permettait de s’extraire de ce goulet d’étranglement qu’est leur faible nombre de port en eau libre (facile à surveiller par les Américains et leurs alliés). Ensuite avec la détérioration des relations vietnamiennes et russes avec la Chine, elle était un contrepoids à toute velléité agressive chinoise. Et ce n’est pas un hasard si l’accord entre le deux pays a été signé en 1979 : cette même année, entre février et mars, une courte guerre opposa Chinois et Vietnamiens, une guerre sans vainqueur.
Aujourd’hui Cam Ranh est au centre d’un nouveau Grand Jeu. La Russie et le Vietnam vontconstruire une usine deréparation et d’entretienpour les navires construitspar l’Union soviétiqueet de la Russieenbaie de Cam Ranh. La reconstruction de la base aérienne est aussi envisagée. En effet, au cours des dernièresannées, le Vietnamaété l’un desacheteursles plus actifs del’équipementmilitaire russe. Ilsont acheté desnaviresde haute technologieet des avions.Lecentre devraitservirde base pour les navires de toute sclasses et detypes. Rappelons qu’en 2009 lors d’une visiteà Moscoudu Premier ministre vietnamien NguyenTan Dung, un contrat pour la fournitureau Vietnamdesixsous-marins diesel–électrique a été signé. Le contratprévoit égalementla formation des équipagesvietnamiens. A cet effet,un centre de formationest mis en placedansla région de Cam Ranh.La Russie espère retrouversa présence danscette partie importante dela régionAsie-Pacifique tandis que le Vietnam envoie un message clair à son voisin la Chine : ses appétits en Mer de Chine seront contrariés par la présence de puissants voisins. Car rappelons que Chinois et vietnamiens s’opposent (ainsi que Les Philippines, Taïwan, Malaisie et Bruneï) pour la possession des îles Spratly et Paracels. En 1988 une conflit pour les Spratly dégénéra en affrontement naval en la Chine et le Vietnam causant peut être une centaine de morts (bilan très flou selon les sources annonçant un minimum de 80 morts du côté Vietnamien et un chiffre variant de 6 à quelques dizaines côté chinois). La politique étrangère agressive de l’ancien président Hu Jintao a accentué l’inquiétude des états voisins : les incidents avec le Japon pour la possession des îles Senkakku, Les polémiques sur la mémoire de la guerre ajoutées à la féroce compétition économique ont dégradé l’image de la Chine dans la région comme en témoigne les émeutes anti-chinoises de 2014 au Vietnam qui ont débuté par une forte contestation populaire des prétentions chinoises sur les îles Spratly.
Il est donc logique que le Vietnam se soit dans le même temps rapproché de l’ancien ennemi, les Etats-Unis qui opèrent un retour spectaculaire dans le Pacifique. Le 3 juin 2012, la base de Cam Ranh a reçu la visite de Leon Panetta, le secrétaire américain de la défense, une semaine après les commémorations aux Etats-Unis de la guerre du Vietnam. La veille à Singapour, il avait dévoilé l’intention des Américains de redéployer la plus grande partie de leur flotte vers l’océan Pacifique d’ici 2020, reflétant les inquiétudes du Pentagone sur la montée en puissance économique et militaire de la Chine. Les 285 bâtiments de la Marine américaine sont actuellement répartis quasiment à égalité entre le Pacifique et l’Atlantique. D’ici 2020, la proportion en faveur du Pacifique passera à 60%, y compris six porte-avions. Washington a également prévu d’augmenter le nombre d’exercices militaires dans la région Pacifique. Le sécrétaire d’état à la défense ajouta sur place : « Il y a un excellent potentiel ici ». Depuis 2011, un accord de coopération militaire existe entre les deux nations et la poussée des revendications chinoises a finalement amené ses deux nations à faire fi de leurs luttes passées.
» Si le Vietnam ne résiste pas à la montée en puissance de la Chine, des pays plus faibles et moins décidés, tels que les Philippines, ont peu de chance de bloquer l’hégémonie chinoise », ajoute le centre d’études stratégiques américain. Dans le grand jeu qui se dévoile dans le Pacifique, le Vietnam retrouve une place centrale accentuée par la pression de la Chine, son rival historique mais aussi partenaire économique comme le rappelle l’accord de coopération économique signé en 1991 et le volume des échanges commerciaux (25 milliards !! ) entre les deux nations en 2011.