L’Association des Artistes SONAMOU est un groupe d’artistes de Corée à Paris qui a fait ses débuts en 1991 dans des ateliers situés dans l’ancien arsenal d’Issy-les-Moulineaux. Comptant une cinquantaine de membres, elle a pour ses trente ans d’existence organisé une exposition en novembre 2021 au Centre culturel coréen. Nous republions ici les textes de Mikaël Faujour issus du catalogue de l’exposition à propos de deux artistes participants, Kum Young Suk et Kwak Soo-Young.
la poésie du trait de Kum Young Suk
Sans copier le visible, l’art de Kum Young Suk exprime une attention amoureuse aux forces et aux formes d’une nature indomptée, qui échappe à l’illusion de domestication et de contrôle par l’homme et la Technique. L’œil et de l’esprit ne pouvant s’empêcher de rapporter l’étrange au familier et l’inconnu au connu, y devinent les empreintes du monde : lignes tortueuses des branches et des troncs, taillis ou ronciers, montagnes, taches dans la neige, ciels d’aurore et de crépuscule, écueils cernés d’écume.
Mais ce n’est pas tel arbre, tel rocher, tel paysage qu’elle dessine ou peint : son art n’est pas figuratif ou « réaliste », il est suggestif et expressif. Il n’y entre, semble-t-il, ni préméditation ni plan ni projet ; l’artiste, de toute évidence, se lance dans chaque œuvre comme on saute au vide, s’abandonnant au destin d’images qui s’accomplissent à travers sa main. Défaite de toute servilité copiste aux apparences du réel, Kum Young Suk fait monter, métabolisées, transformées, les formes du monde objectif et les forces élémentales du vent, de la foudre, du feu, de la vague. Hommage à la Création, l’art de Kum Young Suk n’en imite donc pas les apparences, mais exprime, comme en écho, une même force d’essor, génésiaque, figeant le chaos en ordre, le bouillonnement en quiétude. En cela, son art illustre l’intuition poétique d’Élisée Reclus, pour qui « l’homme est la nature prenant conscience d’elle-même ».
Le « voyage immobile » de Kwak Soo-Young
Par l’intensité d’une lumière montée depuis le fond de la toile, les dernières peintures de Kwak Soo-Young exercent d’abord une séduction d’autant spontanée que l’œil y reconnaît les formes familières d’une cathédrale. Pourtant, aussitôt quelque chose résiste ; elles paraissent se refuser, imposer leur mystère fantomatique et même une austérité. Sous un tissu de lignes grattées, la cathédrale a quelque chose d’inaccessible, qui évoque une perte, une distance au monde.
Cette répétition sérielle du motif de cathédrales gothiques – façade ou nef – fait penser à la fois à l’effort méditatif et l’effort de mémoire. Le premier vise à fixer l’attention sur une image mentale ou un objet extérieur, à suspendre le cours des idées et s’abstraire au bruit du monde extérieur ; le second s’efforce à sauver de l’oubli un souvenir, une image, une impression, à faire remonter des profondeurs intérieures ce qui est enfoui. Dans les deux cas, l’enjeu est l’attention au monde et la présence à soi par-delà les interférences du quotidien, soit ce qui persiste dans le chaos du monde.
Ces interférences semblent se matérialiser par les empâtements, grattages et griffures qui « altèrent » l’image et évoquent une menace d’ensevelissement, d’oubli, de mort – soit l’œuvre tragique, irréversible, du temps sur la mémoire, les corps et les accomplissements humains. À rebours de l’agitation sans fin des sociétés modernes, de la quête frénétique de « sensations fortes », Kwak Soo-Young revendique le « voyage immobile » vers le dedans, soucieux de ce qui nous humanise : la conscience tragique de notre finitude où s’enracine la valeur même de nos actes, de notre vie, de notre liberté.
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