Marcelino Truong, Si loin dans le bleu, de Saïgon à Saint-Malo, éd. des Équateurs, 2024
Marcelino Truong, Si loin dans le bleu, de Saïgon à Saint-Malo, éd. des Équateurs, 2024

Certains disent que Marcelino Truong est un illustrateur, auteur de couvertures pour les meilleurs éditeurs. C’est faux. Certains affirment que Marcelino est un auteur d’albums illustrés pour jeune public, de merveilleux albums, précisent-ils. C’est faux. D’autres soutiennent que Marcelino est un artiste peintre, auteur de portraits, paysages d’Indochine, scènes de marine, et aussi un bricoleur de bois flottés métamorphosés en poissons et bateaux, preuves d’un créatif et talentueux artiste. C’est faux. D’autres insistent, Marcelino est l’auteur de romans graphiques, biographie d’André Malraux au Cambodge, récits de la guerre du Viêt Nam, séjour au Swinging London, ou fresque épico-intime sur la bataille de Diên Biên Phu vue du côté vietnamien. Faux, archi faux.La vérité est que Marcelino est tout cela à la fois, et plus encore.

Une malle aux trésors

Car à tous ces talents, Marcelino ajoute ceux que recèle Si loin dans le bleu, cette véritable malle aux trésors publiée par les éditions des Équateurs. On dirait une de ces malles que l’on découvre oubliée dans le grenier d’une maison de famille, gorgée des souvenirs d’un parent lointain qui navigua par le vaste monde, accosta ici ou là, affronta les ouragans et goûta les plus doux zéphirs, apprécia les bateaux, les poissons et les gens, puis revint vivre entre ses parents le reste de son âge… De Saïgon à Saint-Malo, une croisière, ses escales mythiques, exotiques forcément, ses aventures… Ouvrons la malle !

Au gré des courants et des couleurs

D’abord des images. Ce livre, joli format, belle couverture, clin d’œil aux affiches des Messageries Maritimes qui jadis desservaient les lignes d’Extrême-Orient, jonque, sampan et cargo, teintes chaudes, ciel orange et bleu, l’artiste lui-même dans un coin, assis sur le roof, crayons en main, sur le motif ! La scène, et celui qui la croque, belle composition en abyme. Feuilletons ! À chaque page une illustration, tableau, vignette, BD, croquis, photo, document. On en connaît déjà pas mal. Elles rappellent le souvenir d’une couverture familière, d’un album lu jadis. Un portrait, une scène de genre, un nu, des paysages, des gens sur un marché, un vieux pêcheur, des baigneuses intemporelles… On retrouve le regard de Marcelino, curieux, empathique, net, avec le trait de stylisation qui est sa marque. Le tirage est soigné, sensuel, et révèle la beauté tactile des papiers, leur grain, leur trame.

Un roman personnel et familial

Au fil des pages et des textes, apparaît un album de famille. Père vietnamien, mère malouine, rencontrés durant les études, suivant les étapes cosmopolites d’une carrière diplomatique, affrontant aussi les coups de vent dépressionnaires d’une mère devenue fragile. L’auteur trouve pour ces textes une distance juste, entre journal intime, réflexion sur les états du monde parcouru, anecdotes et moments forts, fil dévidé d’un roman familial.

L’ensemble est dense et sensible, et l’on comprend bien que l’écriture est aussi recherche de soi, entre deux cultures, jusqu’à la célébration finale de la méditative plongée en scaphandre autonome, au pays des féeries, dans le monde du silence de la spectaculaire Mer Rouge. Ou bien dans les fonds de la belle et rude Bretagne dont Marcelino sait éclairer les trésors, « homards bleu indigo, araignées, tourteaux, méduses, seiches, roussettes, dorades… algues ondulantes, aux mille combinaisons de couleurs, taches fluorescentes, éclair orange », et au final une ambiance gothique

En confidence, le lecteur que je suis fut fort ému de retrouver un album (magique) de jadis, Fleur d’eau. De parcourir des lieux connus adolescent, le petit port de Hoi An, la splendeur absolue d’un Nha Trang avant l’urbanisation, les collines de Vung Tau Cap Saint-Jacques (et au sommet, la somptueuse Villa Blanche, palais édifié en 1898 pour le Gouverneur Paul Doumer, dont l’auteur de ces lignes, escaladant les clôtures, explorait le parc et les bâtiments déserts, les perspectives grandioses, le panorama sans limite). Et une remarque de première importance : l’entraîneur de la piscine du Cercle Sportif Saïgonais, personnage considérable qui eut quelques poulains sélectionnés aux Jeux Olympiques, s’appelait bien M. Vatin, mais nul n’aurait osé l’appeler autrement que Maître Vatin…

Maintenant que l’affaire Marcelino est tirée au clair, il ne reste plus qu’à attendre ce qui nous manque, l‘histoire de la famille vietnamienne par exemple. Et donc une autre malle, richement garnie. Nous saurons patienter, sachant que Marcelino ne nous oubliera pas.

La Villa Blanche au Cap Saint-Jacques, Vung Tau

Marcelino Truong, Si loin dans le bleu, de Saïgon à Saint-Malo, éd. des Équateurs, 2024, 156 p.

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Henri Copin est membre de l'Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire, auteur de livres et d’articles sur la représentation de l’Indochine et de l’Afrique dans la littérature française.

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