L’histoire des Khmers Rouges est celle d’un des pires génocides du XXème siècle longtemps passé sous silence et dont les responsables n’ont pas exprimé de sincères remords et ont pour certains échappé à la justice. Les témoignages des rescapés ont peu à peu levé le voile sur la mécanique génocidaire qui tua entre 25 % et 40 % de la population cambodgienne, soit 1,7 million de personnes (chiffre le plus communément admis mais qui peut varier selon les sources notamment à cause de la fiabilité des recensements). Les enquêtes révélèrent très vite le soutien que reçut le régime de son puissant voisin chinois. Ce que l’on apprit beaucoup plus tard c’est l’attitude ambiguë des Occidentaux, notamment révélée par le déclassement de documents officiels et la redécouverte d’une étonnante et cynique interview de la première ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990, Margaret Thatcher.

Retour sur la prise de pouvoir des Khmers Rouges

Les Khmers Rouges naissent officiellement en 1951, le 5 août, avec la fondation du Parti Communiste du Kampuchéa, le nom historique du Cambodge. Lié idéologiquement à ses débuts au parti communiste vietnamien et chinois, le parti cambodgien va être la synthèse des pires aspects des régimes communistes asiatiques (le Juche nord-coréen, le Maoïsme) en reprenant leur esprit de guérilla permanente, de purification idéologique, de massacres à grande échelle et de destruction des cadres de la société. Il rajoute une dimension ethnique en menant une véritable épuration à l’encontre des minorités vietnamiennes et musulmanes. Sous la coupe de leur chef Pol Pot, le parti progresse dans la discrétion. Indépendant depuis 1953, le pays est rapidement entraîné dans le chaos né de la guerre du Vietnam : infiltration de combattants du Nord, bombardements américains, coup d’Etat militaire en 1970 contre le prince Sihanouk. Cette instabilité entraîne une aggravation de la situation sociale : pauvreté dans les campagnes, inégalités, forte corruption. Un terreau fertile pour des Khmers rouges dont l’influence progresse vite. En stratèges, ils s’allient avec le souverain renversé par les militaires et profitent de son aura notamment dans les campagnes pour gagner en légitimité, tandis que de milliers de paysans affamés par la guerre et les troubles politiques viennent grossir leurs rangs. Le discours des Khmers Rouges – redistribution des terres, lutte contre la corruption, fierté nationale – enflamme les foules tandis que de l’autre côté de la frontière, la guerre du Vietnam tourne à la faveur du Nord, ce qui est un formidable appel d’air pour les communistes cambodgiens. Avec le retrait des États-Unis en 1973,leur marche vers le pouvoir s’accélère.

En 1975, les Khmers rouges s’emparent de la capitale, Phnom Penh. Leur allié, le prince Sihanouk, est mis en résidence surveillée. La capitale est évacuée sous prétexte d’un bombardement américain. En réalité, il s’agit de la première phase du programme génocidaire : tous les centres urbains sont évacués sous la justification que leurs habitants ont été corrompus par les idées bourgeoises. Les moines bouddhistes sont massacrés, les minorités chams et vietnamiennes victimes d’épuration raciales, les intellectuels (le seul fait de porter des lunettes pouvait valoir d’être classé dans cette catégorie) exterminés aussi, les campagnes collectivisées de force. La purge politique devient ethnique et la « révolution » se retourne contre son propre peuple. Aux victimes torturées et assassinées dans des lieux comme S 21, ancien lycée du centre-ville de Phnom Penh devenu le principal centre d’interrogation des Khmers rouges s’ajoutent celles des famines. Entre 1/4 et 40 % de la population disparaît. Il faut attendre janvier 1979 et l’intervention de l’armée vietnamienne pour que l’enfer cesse. Mais les Khmers Rouges survivent. Certains sont recyclés par le nouveau pouvoir, d’autres se réfugient à l’Ouest du pays et continuent la guérilla jusqu’aux années 1990.

Les Occidentaux à la manoeuvre

C’est à ce moment qu’interviennent les Occidentaux. Alors que le monde est en pleine guerre froide, les tensions au Cambodge intéressent au plus haut point les services secrets britanniques et américains. En effet le Vietnam est allié à l’U.R.S.S tandis que les Khmers Rouges sont soutenus par Pékin. Or depuis les années 1960, Chinois et Soviétiques sont passés de concurrents à rivaux, se critiquant publiquement et s’affrontant sporadiquement le long de leur longue frontière commune sur les berges du fleuve Amour. Cette situation conduit la Chine en 1971 à se rapprocher des E.U.A (États Unis d’Amérique) et à ouvrir une ère de reconnaissance diplomatique mutuelle. Il devient évident dans ce contexte que les Khmers Rouges apparaissent comme des alliées de circonstance contre le Vietnam. . Et 1979, au moment où le Vietnam intervient pour mettre fin à la terreur des Khmers Rouges, Britanniques et Américains tirent les ficelles d’une troisième guerre d’Indochine secrète, en soutenant la guérilla locale contre les troupes vietnamiennes. Le grand jeu de la realpolitik fonctionne à plein régime : personne n’ose soutenir publiquement les Khmers Rouges, tout le monde se frotte les mains de voir deux anciens alliés se déchirer avec en toile de fond les civils pris entre deux feux.

C’est près de la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge que les Anglo-Saxons vont soutenir les Khmers Rouges. Les S.A.S britanniques vont les entraîner à l’usage des mines, un des fléaux actuels du Cambodge. En Thaïlande la C.I.A bien implantée fait passer discrètement des fonds à Pol Pot : 85 millions de dollars entre 1980 et 1986. Secrètement les E.U.A encouragent la Chine à continuer à soutenir Pol Pot tandis que publiquement ils dénoncent ses abominables crimes. Les Occidentaux vont même travailler main dans la main avec les Chinois pour créer de toute pièce en 1982 un gouvernement non communiste et non vietnamien en exil et installé à Kuala Lumpur, une marionnette totalement noyautée par les Khmers Rouges. Cerise sur la gâteau la première ministre britannique qui avait affirmé qu’aucune aide britannique n’était apportée aux Khmers Rouges déclare à la télévision britannique (voir l’intégralité de la vidéo à la fin de l’article)  qu’il y avait parmi les Khmers Rouges des personnes raisonnables qui auraient un rôle dans le futur gouvernement (ainsi délégué des Khmers Rouges était le représentant du Cambodge à l’ONU jusqu’en 91, aux moments des accords de Paris sur le Cambodge). Au moment même où le monde découvre l’ampleur des massacres au Cambodge, la Dame de Fer déploie tout son cynisme. 

Il faudra attendre la fin de la guerre froide pour que cette sinistre mascarade cesse. En 1991 le gouvernement britannique reconnaît son rôle dans le soutien des Khmers Rouges. A la fin des années 1990, les derniers chefs Khmers Rouges sont arrêtés et en 2009 s’ouvrent les premiers procès de dirigeants Khmers Rouges dans le cadre des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens. Si le processus judiciaire est long et si Pol Pot est mort depuis 1997, certains responsables du génocide comme Douch, le chef de S-21, ou encore Nuon Chea, le Frère n°2, ont ou être condamnés avant leur décès.

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3 COMMENTS

  1. 1) Le lien de la vidéo est mauvais.
    2) Quant au soutien de l’Occident aux Khmers Rouges, il est lié à son naïf (ou commercial) attrait, ou intérêt, pour la Chine de la fin des années 70. Cette naïveté occidentale est en train de coûter très cher, aux Asiatiques pour l’instant: expansion militaire chinoise dans les eaux internationales de l’Indo-Pacfique, épuration ethnique au Tibet, mise en camps de concentration de milliers de Ouïghours. Mais l’Occident va bientôt être concerné: la base militaire de la Chine à Djibouti devrait faire réfléchir….

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