La députée (LREM) d’origine vietnamienne, Stéphanie Do, a porté à l’Assemblée nationale, le 20 janvier 2020, une résolution visant à la reconnaissance des volontaires vietnamiens, laotiens et cambodgiens dans l’effort de guerre français. Cette résolution ouvre un débat sur la mémoire des travailleurs indochinois en France, sur l’usage politique qui en est fait et sur les mots qui sont employés pour évoquer leur histoire. Joël Pham, descendant d’un de ces « Công Binh », lui répond dans une lettre ouverte, publiée pour la première fois sur sa page Facebook personnelle le 22 janvier :

mémorial de Salin de Giraud . Photos A. Laugier

Madame la Députée,

J’ai pris connaissance avec effarement de votre proposition de résolution n° 2556 « visant à acter la reconnaissance de la Nation aux volontaires vietnamiens, laotiens et cambodgiens ayant contribué à l’effort de guerre français ».

Je ne doute pas de vos bonnes intentions et ne vous ferai donc aucun procès sur ce point. Quant à votre couleur politique elle m’importe peu tant il est vrai qu’aucune initiative n’a jamais été prise sur ce sujet précis par un quelconque groupe politique depuis le déroulement des faits que vous évoquez dans l’exposé des motifs (alinéas 1 à 5).

Ce qui ne passe pas, Madame la Députée, c’est principalement le terme « volontaires » appliqués indistinctement à l’ensemble des hommes en faveur desquels vous souhaitez la reconnaissance de la Nation. Tout particulièrement quand il qualifie les vingt mille travailleurs envoyés en métropole lors de la Seconde Guerre mondiale.

J’ignore avec qui vous avez travaillé à la préparation de ce texte mais une évidente inculture historique devait servir de liant à ces conseillers.

Sachez donc, et je vous suggère de le vérifier par vous-même, que ces hommes étaient dans leur grande majorité des requis civils, ce qui n’est pas me semble-t-il la définition du volontaire ! D’ailleurs la question est tranchée depuis longtemps puisque dès 1945 et le G.P.R.F. les « travailleurs indochinois » pouvaient obtenir une « levée de … réquisition » terme officiel employé par le ministère des Colonies.

Sachez de plus que ces requis ont eu à souffrir pour nombre d’entre eux d’un préjugé de traîtrise à leur pays pour cette participation à l’effort de guerre français, assimilé par d’autres ignorants, à une adhésion au principe de la colonisation. Les qualifier ainsi que le texte le propose est donc une contre vérité historique et administrative et une stigmatisation officielle définitive. L’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions.

Pour terminer, même si j’ai bien d’autres choses à dire sur le reste du texte, vous souhaitez que « cette reconnaissance soit à la hauteur de leur engagement pour notre pays ». Cette formule, que j’ai déjà entendue lors de l’inauguration du mémorial aux ouvriers indochinois à Salin de Giraud en 2014, et qui reste lettre-morte, n’a, à minima, qu’une issue possible : l’abandon du terme « volontaires » appliqué à ces travailleurs au profit de « travailleurs requis ». 

Quant au niveau approprié de Reconnaissance, il serait d’admettre, puisqu’il ne reste plus d’éventuel bénéficiaire, que la France a failli à son devoir en refusant d’accorder aux « travailleurs indochinois » rentrés dans leur pays le droit à pension de vieillesse pour les années de travail sous le régime de la réquisition.

Alors que l’année du Rat est imminente, je forme le vœu que son ouverture coïncide avec la prise de conscience nécessaire au retrait de ce texte.

Très cordialement,

Joël Pham,  est à l’origine du site internet : www.travailleurs-indochinois.org . Il a également cofondé l’association Mémorial pour les ouvriers indochinois, qui a fait ériger le mémoriel de Salin de Giraud le 5 octobre 2014.

Previous article[théâtre] Une odeur de terre et de sang, Carte blanche Quentin Raymond
Next articleMensonges en famille

4 COMMENTS

  1. Historienne ayant travaillé sur la question des « Travailleurs Indochinois de la Seconde Guerre mondiale » (Thèse, IRIS, EHESS, Paris, 2014), je ne puis que m’indigner à la suite de Joël Pham et souscrit à sa requête pour le RETRAIT de cette proposition de résolution. Je me tiens bien évidemment à la disposition de Mme la Députée pour l’éclairer sur un sujet qu’elle ne semble pas maîtriser.

  2. Enfant de Cong Binh , né Vietnamien en 1911, mort Vietnamien en 1998 ,qui devint par la force de l’histoire le travailleur -requis ZTY 337, requis par une mère patrie qui ne fut jamais la sienne, ses enfants se tiennent aujourd’hui à votre disposition avec les preuves que « volontaire « 
    il ne le fut JAMAIS.

  3. Avec un peu de retard, je trouve que s’il faut abandonner le mot « volontaires », la reconnaissance d’un « droit à pension de vieillesse pour les années de travail sous le régime de la réquisition » (aux descendants, donc) me semblerait plutôt une bonne chose. Il ne faudrait pas « déconstruire » pour laisser du vide (la nature ayant horreur du vide. Comme la culture ou la politique…). Où en est-on en 2022 ?

Laisser un commentaire