ll est des ouvrages qui évoquent le qualificatif si galvaudé de classiques. Le livre de Philippe Franchini, Continental Saigon, mérite,lui,sans aucune réserve une appréciation littéraire intemporelle et c’est donc avec un plaisir certain que nous apprenons sa réédition. Le récit des fortunes et infortunes du Continental Palace dont l’auteur fut le propriétaire a toujours eu quelque chose de mythique, tant le bâtiment fut le témoin et même parfois le centre des révolutions et des intrigues qui rythmèrent la vie saigonnaise.

La justesse de l’écriture de Philippe Franchini fait toutefois de son ouvrage tout sauf un chef d’œuvre poussiéreux. Car Continental Saigon est un livre au tempérament fondamentalement chaleureux, méditerranéen comme l’est son auteur. Et si le livre de Franchini peut être considéré par certains côtés comme un roman historique, c’est une histoire sensible et honnête qui est pratiquée. L’écrivain évite ainsi l’écueil du romanesque en adoptant le recul nécessaire de l’historien lorsqu’il évoque les grands événements de l’Histoire du Vietnam. Mais en mêlant son vécu familial et personnel au propos historique, il le rend vibrant et révèle une sensibilité que ne possède pas selon l’auteur l’histoire historienne quelque peu sèche que l’on peut entendre dans les colloques scientifiques.

Le ton juste, Franchini le trouve aussi dans sa description de la société vietnamienne sous la colonisation. Sa condition de métis y a sans doute joué pour quelque chose et l’empêche de sombrer dans l’exotisme stéréotypé qui caractérise parfois certains récits sur l’Indochine. « Dau ga, dit vit » c’est à dire « tête de poulet, cul de canard » pour les vietnamiens , demi homme pour les métropolitains, la position de Philippe Franchini parfois inconfortable lui a conféré une lucidité certaine à la fois sur les injustices du régime colonial et les violences des mouvements révolutionnaires dont il fut l’observateur concerné.

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Mathieu Franchini, le père de Philippe du même nom qui racheta le Continental Palace

La deuxième partie du livre plus crépusculaire se déroule à l’époque de la République du (Sud) Vietnam. Y est un décrit un peuple sud vietnamien pris en étau entre une très meurtrière guerre du Vietnam dont il a fourni contre le Nord -plus encore que les Américains- le matériau humain et la présence pesante de cet allié États-unien qui finit par corrompre par le «lam tien my » toutes les strates de la société. Dans cette atmosphère de fin du monde s’affirme pourtant l’identité complexe et mélancolique d’un peuple saigonnais qui se revendique résolument vietnamien malgré les humiliantes maladresses des étrangers et les tourments de la guerre civile.

Publié il y a tout juste 40 ans, Continental Saigon fut un livre écrit à chaud par son auteur comme pour fixer avant qu’il disparaisse le souvenir de ces tranches de vies vécues dans un Sud Vietnam qui venait juste alors d’être emporté dans les soubresauts de la guerre froide.

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Saigon,1968

Dans la préface de sa réédition, Philippe Franchini affirme sa volonté de n’avoir pas voulu changer une seule virgule de son ouvrage, quoiqu’ait pu lui inspirer les événements ultérieurs à la conclusion du roman ou sa connaissance encore plus approfondie de l’Histoire du Vietnam acquise durant ses recherches pour d’autres travaux. Car Continental Saigon malgré sa qualité de témoignage relève avant tout de la démarche littéraire plutôt que de celle d’un travail d’historien stricto sensu. Philippe Franchini n’a ainsi pas écrit de la même manière que son roman autobiographique, les volumes plus académiques qu’il a par la suite publiés sur les guerres d’Indochine. Et quand on lui demande de commenter aujourd’hui le passé du Viet Nam, l’écrivain semble se démarquer d’une certaine production historique jugée trop centrée sur les perceptions et perspectives américaines du conflit, ignorant dès lors le versant vietnamien de la guerre du Vietnam.

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Bleu de Huê credits Photo SVV Coutau-Bégarie

Sur la corruption proverbiale des dirigeants de la République du Vietnam par exemple : quand les journaux occidentaux titraient après guerre sur l’or de la banque centrale du Vietnam emporté par le président Nguyen Van Thieu dans son exil (l’anecdocte a depuis été réfutée), Philippe Franchini rencontrait en France un Duong Van Minh- le dernier dirigeant de la République du Sud Vietnam- plongé dans la misère. Ce dernier, acculé à vendre ses derniers biens aux enchères, pensait retirer quelque profit de la vente de ses bleus de Huê, porcelaines chinoises importées par la cour impériale vietnamienne. Franchini l’en dissuada en lui signifiant la faible valeur marchande sur le marché des antiquités de ses possessions de famille. Les poncifs véhiculés depuis des décennies en Occident sur l’absence totale de probité de la classe politique sud vietnamienne mériteraient aujourd’hui sans doute d’être en partie réévalués.

Les journalistes qui comptèrent parmi la clientèle la plus fidèle du Continental, ne firent donc pas toujours preuve du meilleur discernement par rapport au pays qu’ils couvraient. Mais Philippe Franchini en appelle à la compréhension les concernant : à une jeune femme qui s’étonnait que les reporters américains puissent travailler au Vietnam sans en maîtriser la langue, il fut répondu que même en parlant le vietnamien il est bien ardu de comprendre le peuple du Vietnam. Ce qui rend des ouvrages passeurs de mémoire comme Continental Saigon encore plus nécessaires.

philippe franchini

Remerciements à Jeanne PHAM TRAN des Editions des Equateurs et à Joelle Skoo pour leur support pour cette recension.

En savoir plus

http://editionsdesequateurs.fr/aParaitre/oo/CONTINENTALSAIGON

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