Le prix littéraire Asie renaît en même temps que la vénérable association des écrivains de langue française, ADELF, sous l’impulsion d’une nouvelle équipe. Entretien avec le vice-président, médecin tropicaliste de terrain. Parmi ses publications, un dictionnaire de persan, une autre au Liban, une autre au Vietnam et un site sur les Indiens Waiampi.

Pouvez-vous nous parler du prix littéraire de l’Asie ? Quelle est son histoire, qui l’attribue, et comment ce nouveau départ, après plusieurs années de sommeil, s’est-il fait ?

Pierre Bau

L’histoire du prix littéraire de l’Asie, remonte à 1972.  Il a été créé par l’ADELF, autrement dit l’Association des écrivains de langue française. Cette association a été créée en 1926, elle va donc bientôt fêter son centenaire. Sa tâche essentielle est de remettre des prix littéraires et de favoriser les échanges entre les écrivains de langue française, quel que soit le continent sur lequel ils vivent. Le prix littéraire d’Asie a donc un demi-siècle d’existence. Il a récompensé nettement plus d’essais (ou témoignages ou récits de vie) que de romans. Les éditeurs qui reviennent le plus souvent sont par ordre chronologique depuis 1972 : Grasset, La Cité, Fayard, l’Aube et Actes Sud. Les petites maisons d’édition sont néanmoins en bonne place.

Malheureusement, une très grave maladie a frappé la secrétaire générale, l’activité de l’association des écrivains de langue française s’est progressivement arrêtée. Y compris les remises de prix littéraires à l’exception du prix France-Liban remarquablement dirige par Georgia Makhlouf.

Comment avez-vous constitué un jury, pour ce prix ? Quels sont les livres que vous cherchez à récompenser ? Est-ce qu’il s’agit de roman sur l’Asie, les diasporas asiatiques, de livres en traduction ?

Après le décès de la Secrétaire générale, il a été décidé de relancer les activités. J’ai souhaité privilégier la renaissance de deux prix fondamentaux : Afrique et Asie. J’ai entrepris de reconstituer ces deux jurys. Certains des anciens ont répondu à l’appel après cette interruption de cinq années. Je me suis également adressé à des amis et connaissances rencontrés sur les cinq continents au long de mon parcours de médecin tropicaliste depuis 1982.

Le jury du prix Asie est constitué de Mohar Chaudhuri, de l’université de Calcutta, Michael Ferrier, écrivain français qui réside à Tokyo, Olivier Jeandel, libraire à Phnom Penh et Bangkok, Giang Huong Nguyen de la Bibliothèque nationale de France, Laura Raoul de la librairie Le Phénix à Paris, Preeta Samarasan, écrivaine en Malaisie et en France, et moi-même.

Il serait tout aussi passionnant de relancer ultérieurement le prix Caraïbes et le Grand prix de la mer qui recouvre l’océan indien, l’océan Pacifique et toutes les mers du globe !

Notre critère de sélection numéro un est tout simplement l’exigence. Notamment quant aux qualités d’observatrice ou d’observateur de l’autrice ou de l’auteur. Il faut dire que certains sont particulièrement doués pour se mettre à l’écoute, recueillir avec patience en donnant du temps au temps. Ils peuvent être journaliste, reporter, ethnologue en enquête semi-directive ou romancier. Ces derniers nous donnent souvent un aperçu plus profond d’un groupe de personnages, d’un quartier, d’une société. C’est pourquoi il sera avisé de donner un peu plus de place à ce genre, le roman. À plus forte raison lorsque l’on rencontre une belle qualité d’écriture.

Nos « critères asiatiques » de sélection sont simples : l’auteur doit parler de l’Asie et être de langue française, même s’il a écrit dans sa langue maternelle. Par exemple une pièce de théâtre en chinois ou en vietnamien ou en khmer, par un auteur chinois ou tamoul, pourra être sélectionnée (une fois traduite en français) si l’auteur s’exprime aisément en français, la langue commune à tous les membres de l’association. A contrario, un livre–enquête intéressant sur la prostitution chinoise à Paris écrit en français ne nous concerne pas, car il ne raconte pas l’Asie en tant que continent.

Nous lisons de près les écrits des diasporas asiatiques dans les pays francophones. Un bon exemple est Ying Chen, qui est à la fois Chinoise et Canadienne. Elle a grandi à Shanghai, y fut étudiante, connaît l’italien et le russe. Qu’elle se trouve à Montréal ou Vancouver, elle lit chaque matin quelques pages de Proust avant de s’installer à son « écritoire ». Si elle était arrivée au Canada à l’âge de six mois, il n’en serait peut-être pas de même.

Les prix 2023 viennent d’être attribués à Doan Bui pour La Tour (éd. Grasset, 2022) et Corinne Atlan pour Le pont flottant des rêves (éd. La contre-allée). Pouvez-vous nous parler de ces deux livres et nous dire quelles sont les raisons pour lesquelles le prix leur a été attribué ?

La Tour est un roman remarquable, un tour de force et des genres. Il commence comme un roman historique dans le quartier chinois du 13e arrondissement de Paris, puis retrace l’histoire des boat-people, puis devient une subtile et féroce satire de Houellebecq. Ensuite arrivent le drame et l’émotion et enfin la science-fiction. Ce roman aurait dû recevoir les plus grands prix littéraires. Raison de plus pour tourner vers lui les projecteurs, aussi légers soient-ils. 

Le pont flottant des rêves est un essai étonnant sur l’art de la traduction, étonnant car il ne se contente pas de nous dire que la traduction n’est pas seulement une relation biunivoque entre deux lexiques, mais une plongée dans deux cultures et cela simultanément. Il raconte l’histoire d’un livre qui fut traduit d’une manière erronée, pourtant l’auteur félicita le traducteur d’avoir créé une œuvre nouvelle qu’il fit retraduire d’une manière tout aussi erronée pour continuer le processus. Sur ce mode flottant, Corinne Atlan nous entraîne loin.

Quels sont vos objectifs, avec ce prix ? Pensez-vous qu’il puisse aider à ce que l’Asie ait une plus grande place dans le paysage littéraire français ?

Je crois effectivement que c’est une excellente chose si la renaissance du prix Asie peut contribuer à une meilleure connaissance de ce continent, de sa géopolitique, de son futur, de ses parutions poétiques, dramatiques, de ses revues littéraires ou de ses romans dans son infinie diversité. 

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Louis Raymond est journaliste. Il s'intéresse aux questions sociales, politiques et historiques en Asie du Sud-Est et en Europe. Il est l'un des animateurs de la revue Les Cahiers du Nem et le secrétaire du bureau de l'association qui l'édite.

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