Pour commémorer le 32ème anniversaire du massacre de Tiananmen, un jeune artiste chinois a construit une œuvre artistique éphémère juste en face de l’Ambassade de Chine à Paris.

Trente deux briques rouges posées devant l’imposant portail de la chancellerie de l’Ambassade de Chine, boulevard des Invalides à Paris. Elles sont le symbole du trente deuxième anniversaire du massacre de Tiananmen commémoré chaque quatre juin. Les briques ont été disposées par Chiang Seeta, jeune artiste chinois, pour réaliser une performance artistique éphémère et contestatrice.
« Vous voulez un mur, vous l’aurez » est le titre de l’œuvre choisi par Chiang Seeta. Un mur qui représente donc d’abord le poids d’une histoire qui ne passe toujours pas en Chine. « Trente-deux ans après, le massacre de Tiananmen n’est toujours pas discuté en Chine », déplore l’artiste auprès des Cahiers du Nem. « Si justice n’est pas rendue, alors pour chaque année qui passe, la pression sur le régime augmente et une brique vient s’ajouter. »
Au-delà de la commémoration, le mur de Seeta s’érige aussi en critique politique. « Les États chinois historiques ou actuels ont depuis toujours trouvé une ‘solution’ commune face aux problèmes : construire un mur comme la Grande Muraille pour séparer l’extérieur de l’intérieur », dénonce Chiang Seeta. Le mur représente la « logique cachée » du régime qui est de « ‘mentir’ ou de ‘couvrir’ » les événements sensibles.

Contre l’emmurement de la mémoire de Tiananmen

Construire un mur devant les murs de l’ambassade chinoise est, d’après l’artiste, un moyen de d’inverser de manière ironique cette volonté gouvernementale d’emmurer une mémoire qui le dérange.
Et l’inversion des rôles ne s’arrête pas là dans l’œuvre de Seeta. La performance artistique a été filmée par une caméra que l’artiste a lui-même apportée. « L’utilisation d’une caméra de surveillance transforme cette « action » en un « événement » ou un « crime » qui n’est plus seulement de l’art, mais qui est également lié à notre vie réelle », révèle Chiang Seeta. « En même temps, il s’agit d’une caméra de surveillance achetée en Chine, symbolisant l’omniprésence de la surveillance chinoise. »
Il a d’ailleurs fallu un certain sens de l’audace voire même un peu de courage à l’artiste qui a réalisé sa performance artistique le visage découvert, sous l’œil justement des multiples caméras de surveillance de l’Ambassade de Chine.
La performance subversive de Seeta cependant ne semble avoir été qu’un cas isolé dans une diaspora chinoise qui ne s’exprime généralement pas publiquement sur le massacre de Tiananmen.

Une contestation en voie de disparition ?

« La commémoration du 4 juin [en France] n’intéresse visiblement pas la communauté chinoise de France, qui semble indifférente voire contre la commémoration » constate en effet le journaliste Zhulin Zhang en relayant sur Twitter les images des habituelles manifestations organisées par les anciens dissidents de Tiananmen où « les Français sont plus nombreux que les Chinois »

Pour autant, il existerait bien à bas bruit une mobilisation pour le souvenir de Tiananmen chez une partie de la diaspora chinoise. Quelques fois chez les Français d’origine chinoise mais finalement assez peu. Les Franco-chinois ne sentent en général pas concernés par la politique, malgré leur accès en Occident à une histoire non expurgée de Tiananmen.
Chez certains Franco-chinois c’est même le contraire qu’on observe, l’évocation de Tiananmen indispose et le récit occidental qui en est fait est rejeté au point d’être qualifié de propagande instiguée par la CIA. Ils se font alors le relais d’une Histoire officielle négationniste décrétée par le Parti de manière parfois plus zélée que le font les Chinois de Chine. Ceci au nom d’un patriotisme identitaire souvent propre aux diasporas qui idéalisent parfois jusqu’à l’aveuglement leur pays d’origine.

Une contestation discrète mais symboliquement plus significative est plutôt à trouver parmi certains citoyens de nationalité chinoise. Ils ne représentent qu’une toute petite minorité parmi la masse des ressortissants chinois présents dans l’Hexagone généralement elle aussi soit indifférente soit favorable à la version du Parti de Tiananmen. Mais ils existent. L’année dernière, événement rarissime, un modeste rassemblement en la mémoire du massacre avait même été organisé au Trocadéro par une poignée de jeunes Chinois.
Cette année, ce rassemblement n’a pu avoir lieu. Nul ne sait si un jour les Chinois en France se mobiliseront de nouveau publiquement. Si la mémoire de Tiananmen devait vraiment finir par être tue, y compris dans la diaspora, la performance murale de Chiang Seeta indique que c’est peut-être dans l’art que le souvenir du massacre pourrait trouver son ultime refuge.

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