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S’emparant d’un sujet plus que tabou dans la société japonaise, Rieko Matsuura n’en a que plus de mérite d’avoir osé abordé frontalement la sexualité non pas comme simple plaisir charnel,mais aussi et surtout comme une douloureuse métaphore de la condition humaine. Il est ici question d’une jeune femme allant sur ses 20 ans, qui à travers différentes rencontres amoureuses, va se confronter à un parcours existentiel qui aura valeur d’émancipation et de découverte de soi. Dans une langue érotique crue d’une assez rare violence, l’écrivaine nous décrit l’expérience sensorielle d’une adulte pas encore totalement sortie de l’enfance confronté à un désir carnassier dont elle jouit goulument tout en la craignant.

L’histoire nous raconte son amour ardent, étalé sur trois ans, pour trois rencontres marquantes avec des filles plus ou moins du même age qu’elle. Des anecdotes parsemés tout du long sont inclues épisodiquement ou l’on devine des flirts masculins sans déplaisir mais sans aucune passion, les hommes n’étant pour elle que des satisfactions factices. Trop concentrés dans leur seul plaisir égoïste ,ils ne peuvent comprendre la passion féminine dans toute son altérité. S’ouvrant par un fait sanglant, le récit ne nous épargne rien de toute la cruauté de ses relations tourmentés,ou seule l’humiliation et la domination (physique et sexuelle) semble être à même de lui procurer cette ivresse du plaisir.Le sentiment amoureux,à l’évidence,est une force qu’elle recherche de tout son cœur,mais elle ne sait comment s’y prendre.

Cet abandon dans la douleur est ce qui lui permet de se protéger d’une peur encore plus terrifiante. Elle se perd dans des relations toujours plus malsaines mais sa conscience ne peut se résoudre à procéder autrement. La possibilité d’un amour pur et sain se présente à elle lors d’un été ou sa collègue de travail,secrètement éprise d’elle,lui offre la possibilité de partir en vacances dans une résidence balnéaire tenu par des proches. Cette parenthèse enchanté est un ravissement qui l’incite à abaisser quelque peu sa garde mais elle ne peut définitivement pas s’y laisser prendre. Souiller cette âme romantique serait un pêché qu’elle ne se pardonnerait jamais. Cette décision,si elle lui fend le cœur,marque son immense respect et sa dévotion à l’amante rejetée.

Retournant dans ses travers phalliques démesurés, sa quête de transcendance n’en sera que plus ardue mais sa raison finira par reprendre le dessus et elle mettre partiellement fin à cette obsession phallocratique.
Miroir à peine grossissant des relations humaines au pays du soleil levant, cette aventure cathartique est une plongée difficilement soutenable par instants mais enivrante. Plus qu’un traité lesbien, c’est une radiographie sur le déni de vie fort préoccupant quand on sait que le taux de suicide chez les jeunes en Asie et particulièrement au Japon est le plus fort au monde. L’avenir incertain, le rendement économique comme unique préoccupation au détriment et au mépris de toute considération humaine ne peut que conduire à ce genre d’aboutissement souvent tragique.

C’est peut être le message délivré par l’auteure, une sorte de prise de conscience sur la dangerosité des sentiments enfouis au plus profond de soi même, une envie de sortir d’un modèle archétypal qui à longuement fait la force de ce pays mais qu’il faut renouveler sous peine d’aller droit dans le mur.

Le grand tour de force est de nous retranscrire cette sourde inquiétude dans un court roman à la narration incroyablement tendue, ce qui concourt à une attention jamais démentie. La perfection aurait été une construction un rien moins floue de la temporalité et une identification un brin plus linéaire de personnages qu’il nous arrive de perdre de vue pendant une bonne partie pour les voir réapparaitre quelque temps plus tard alors que nous n’arrivons plus vraiment à les situer à leurs juste place.

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