Suk Suk, Un Printemps à Hong Kong en français, est un long-métrage hongkongais réalisé par Ray Yeung et produit par New Voice Film Productions en 2019. Le troisième film du jeune réalisateur reçut un très bon accueil critique, les acteurs principaux Tai Bo et Patra Au remportant les prix respectifs du meilleur acteur et meilleure actrice à la 39ème édition des Hong Kong Film Awards.

Le film narre un récit de romance homosexuelle entre deux hommes arrivés à l’âge des regards tournés vers les trajectoires de vie qui les précèdent. La rencontre entre Pak (Tai Bo) et Hoi (Ben Yuen) évolue au long du film pour créer un lien émotionnel et sensuel entre deux hommes qui doivent vivre leur passion dans le secret. Pak est un chauffeur de taxi qui se prépare à la retraite, vivant dans une relation distante avec sa femme pendant que s’organise le mariage de leur fille. Hoi est retraité et père célibataire, après avoir divorcé suite à son coming-out, vit une relation délicate avec son fils, jeune marié et lui-même père, sorte de petit tyran qui impose ses règles de vie à sa famille et entretient une relation froide avec son père.

C’est donc la solitude et le secret qui réunissent Pak et Hoi et qui fait que, le jour de leur rencontre, l’étincelle de leur passion foudroyante prend vie. Hoi fait découvrir à Pak le milieu homosexuel des hommes mûrs obligés de vivre dans un secret qui leur pèse de plus en plus, arrivés à l’hiver de la vie. Ils se retrouvent autour de rencontres dans des saunas ou clubs divers où ils peuvent assumer leur identité et s’organiser. En effet, cette communauté vit un moment décisif puisqu’elle essaye d’appuyer une consultation citoyenne pour l’ouverture d’une maison de retraite pour homosexuels. La communauté parvient à se motiver et certains viennent en public défendre la consultation, tandis que le respect de l’équilibre de la famille traditionnel oblige les autres, dont nos deux protagonistes, à la retenue. Lors de la conclusion du mariage de la fille de Pak, et malgré leurs moments intenses d’intimité, les deux hommes se séparent sans effusion inutile de tragédie. Il y a une sagesse qui traverse ces moments d’errance, et la passion sincère qui les lie nous conte une une histoire simple sur la générosité et l’amour face à la marginalisation, l’âge et l’homophobie.

L’intérêt du film est aussi de nous présenter deux expériences de vie très différentes. Hoi est intégré à cette communauté et y trouve un lien affectif et social qu’il n’a pas avec son fils, tandis que Pak, qui est introduit dans ce milieu, semble mener une vie de famille relativement épanouie, et le mariage heureux de sa fille en fin de film le prouve. Au prisme de cette relation, le cinéaste expose deux thèmes principaux : le traitement des anciens et la recomposition familiale dans nos sociétés individualistes contemporaines. La mise en scène est maîtrisée et intimiste, ce qui renforce notre attachements au destin des personnages. Leur romance les conduit à errer sur les lieux de leur passé et à nous montrer Hong Kong à l’échelle d’une vie : des histoires de leur arrivée à la nage depuis le continent jusqu’aux confessions de l’âge mûr sur l’oreiller.

Le film est mené de manière subtile et la réalisation s’épanouit vraiment dans la ville, notamment la « visite » finale des lieux de leur idylle inspirant nostalgie et réconfort. Pour autant, derrière l’optimisme qu’inspire cette relation, on ressent le malaise profond à vivre caché et les regrets d’une vie homosexuelle dans la clandestinité qui essaie enfin de s’exprimer. Il y a aussi du tragique, avec l’enjeu autour de la maison de retraite de Hoi, s’il doit être placé selon le souhait de son fils, ou dans un lieu qu’il aurait contribuer à faire construire avec et pour sa communauté. Le film mérite donc son succès, tant par sa maîtrise esthétique que par l’aura qu’il dégage de profonde maturité et de sagesse sur le thèmes de la piété filiale chinoise à l’époque contemporaine et de l’homosexualité marginalisée.

Suk Suk (Un printemps à Hong Kong)

92 minutes

Réalisé et écrit par Ray Yeung

Produit par New Voice Film Productions

Première diffusion à Hong Kong le 28 mai 2020

Previous articleSabine Huynh : « Tisser avec des souvenirs troués »
Next articleExposition Sonamou, Kum Young Suk et Kwak Soo-Young
Thomas Riondet est diplômé de Sciences Po Lyon où il a étudié le monde japonais et travaille aujourd'hui dans la production cinématographique.

Laisser un commentaire